La République de Badara Gadiaga et Abdou Nguer

Depuis plusieurs jours, on parle beaucoup de deux personnes, deux personnages dans les grand-places, dans les grands médias, sur les réseaux sociaux et même à l’Assemblée nationale. Ces deux-là sont Badara Gadiaga, devenu farouche opposant au régime, et Abdou Nguer, envoyé en prison. Partout dans les discussions, leurs noms reviennent. C’est à se demander ce qu’est devenu le Sénégal, pays de Cheikh Anta et Senghor, en phase de devenir la République d’Abdou Nguer et Badara Gadiaga.
Des deux camps du champ politique, on fait la promotion de la médiocrité et de l’arrogance à travers des postures pro ou anti-chroniqueurs.  


Du côté de Pastef, on est en train de donner une tribune et une légitimité insoupçonnée aux chroniqueurs, parce que tout simplement le parti au pouvoir est trop allergique à la critique. En réalité, la plus grande arme de Pastef lorsqu’il était dans l’opposition se révèle être sa plus grande vulnérabilité : les réseaux sociaux. Pastef a régné par les réseaux sociaux en tant qu’opposant, il risque de périr par les réseaux sociaux en tant que régime.


Les tenants du pouvoir accordent trop d’importance aux chroniqueurs. Ils passent leur temps à répondre, à répliquer ou à attaquer. Et la visibilité des chroniqueurs est d’autant plus grande que c’est le leader de Pastef, Premier ministre de surcroît qui assure la publicité. Si Ousmane Sonko et son camp ne s’étaient pas montrés aussi réactifs, les chroniqueurs n’auraient jamais une telle influence. Malheureusement, le PM a presque fini de les installer au cœur du débat public, au cœur de la République.  
En fait, Ousmane Sonko fait une chose et son contraire. Pendant qu’il invite ses opposants à débattre sur les priorités du pays, il se permet de lancer des piques à des chroniqueurs. Le service après-vente assuré par ses militants et une partie de la presse offre dès lors plus de visibilité aux chroniqueurs. 

 
L’opposition a aussi sa part de responsabilité. Parce qu’elle espère tirer des dividendes politiques de la posture de Nguer et Gadiaga, elle apporte un soutien inconditionnel à ces chroniqueurs. On cherche à en faire des héros pour mieux les utiliser. En fait, faute de se faire entendre par ses propres moyens, l’opposition cherche à déléguer son combat à des chroniqueurs.
Pendant ce temps, ces derniers pensent qu’ils sont d’autant plus indépendants qu’il y a un peu plus d’un an, ils critiquaient l’ancien régime, comme ils le font aujourd’hui avec le nouveau. Et c’est justement là que se trouve le piège. Ce n’est pas parce qu’on critique le régime en place qu’on est indépendant. Ce n’est pas parce qu’on ne reçoit de l’argent de personne qu’on est indépendant. L’indépendance va au-delà de l’absence de corruption, elle suppose une distance critique vis-à-vis de toutes les chapelles.
Or, nos chroniqueurs sont des acteurs engagés jusqu’à la moelle. Dès l’instant qu’ils sont braqués contre le pouvoir, ils oublient l’opposition, la société civile et toutes les autres composantes de la société. C’est d’ailleurs assez marquant de constater que les chroniqueurs et journalistes qui se disaient farouchement indépendants ont presque tous rejoint un camp politique.
En réalité, les chroniqueurs doivent se poser une question assez basique, mais qui peut apporter une lumière salvatrice dans leur exercice. Qui sont ceux qui, hier comme aujourd’hui, leur filent des informations parfois exclusives ou une lecture (intéressante ou intéressée) d’un fait, d’une situation ? Si jamais ils s’interrogent sur les sources, ils se rendront compte que les fournisseurs ne sont plus les mêmes depuis la nouvelle alternance. Les pourvoyeurs d’information d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Les intéressés ont changé de camp !
Si Badara Gadiaga a pu avoir une rencontre avec Barthélemy Dias et Bougane Guèye Dani, c’est parce que le contexte intéresse ces deux opposants. Gadiaga doit comprendre que sa personne n’intéresse ni Dias ni Guèye. C’est simplement parce que ces acteurs politiques pensent trouver en lui une célébrité capable d’acculer le régime en place pour en tirer les ficelles. Malheureusement, ces chroniqueurs sont incapables d’avoir ce recul dès lors qu’ils se prennent pour des héros capables de défier les tenants du régime. Ce qui est loin du rôle d’un chroniqueur.
D’ailleurs, le jour où un chroniqueur de Sen tv décidera d’avoir une lecture critique sur la posture de Bougane ou sa représentativité, il saura où se limite son indépendance. Mouhamadou Mansour Diop, ancien de D-Média, en est le parfait exemple. Il lui a suffi de se poser la question de savoir s’il menait un combat professionnel ou un combat politique pour s’attirer en direct les foudres de Bougane. Quelque temps après, il a le groupe de presse dont il était les personnages les plus ‘’remarqués’’ à côté de Ahmed Aïdara.
Il y a quelques mois, le doyen Ass Mademba Ndiaye rappelait aux journalistes qu’ils doivent toujours se méfier de ceux qui leur disent qu’ils sont de bons journalistes, car cela suppose qu’ils écrivent ou disent ce qu’ils ont envie de lire ou d’entendre. Et que le jour où le journaliste publiera des informations à la défaveur de la personne flatteuse, il cessera d’être, à ses yeux, un bon professionnel. Malheureusement, les chroniqueurs semblent trop sensibles à la flatterie pour éviter les pièges. Se croyant au centre du jeu, ils glissent dangereusement vers des combats par procuration. Et lorsqu’ils s’en rendront compte, ce sera hélas, trop tard.

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