Philadelphie– Face à une précarité grandissante, de jeunes hommes noirs américains s’adonnent à la prostitution dans plusieurs grandes villes des États-Unis, notamment à Philadelphie. Un phénomène tabou, discret, mais en pleine expansion, porté par la pauvreté, l’exclusion sociale et l’absence de perspectives. Enquête sur une réalité trop longtemps ignorée.
Le marché invisible des corps masculins
Ils sont jeunes, Noirs, parfois encore mineurs. Dans les ruelles sombres de Philadelphie ou derrière l’écran d’un téléphone, ils se vendent. Pour 20, 50, parfois 200 dollars. Non pas par goût, mais par nécessité. « J’avais le choix entre dormir dehors ou vendre mon corps. J’ai choisi de survivre. » Le témoignage d’Elijah, 19 ans, est glaçant. Et il n’est pas seul.
La prostitution masculine, longtemps ignorée ou associée à des clichés, prend aujourd’hui une forme nouvelle, silencieuse, marquée par une surreprésentation de jeunes Noirs américains issus des quartiers pauvres. Entre désespoir économique, rupture familiale et quête d’identité, ils sont les acteurs d’un commerce de plus en plus structuré, mais socialement occulté.
Les racines d’une spirale : pauvreté et isolement
Philadelphie figure parmi les villes les plus touchées par la pauvreté aux États-Unis. Selon les chiffres du U.S. Census Bureau, près de 23 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec une surreprésentation des Afro-Américains. Ces jeunes hommes, souvent sans emploi ni diplôme, grandissent dans des quartiers où les perspectives se résument à « dealer ou galérer ».
« Ma mère était malade, mon père en prison. J’ai quitté l’école à 16 ans. Il fallait bien que je trouve de l’argent », raconte Khalil, aujourd’hui âgé de 24 ans. Il dit avoir commencé la prostitution via une application de rencontre gay, sans réellement se considérer comme tel. « Ce n’était pas une question d’orientation, mais de survie. »
Une économie parallèle numérique
Les applis comme Grindr, Jack’d, voire Tinder, sont devenues des lieux d’échanges commerciaux déguisés. Des hommes plus âgés, parfois blancs et fortunés, y proposent de l’argent ou des cadeaux en échange de faveurs sexuelles. Les jeunes répondent à des pseudonymes, négocient les tarifs, fixent les règles.
Certains s’organisent en réseaux, avec des « recruteurs » qui prennent une part des gains. D’autres opèrent en indépendants, mais toujours dans l’anonymat, craignant la honte, le rejet, ou pire : les violences.
Double peine : racisme et homophobie
Être un jeune homme noir dans l’Amérique contemporaine est déjà un facteur de vulnérabilité. Y ajouter la prostitution, souvent associée à l’homosexualité dans les imaginaires collectifs, revient à s’exposer à une triple stigmatisation : raciale, sociale et sexuelle.
« Dans ma famille, si tu dis que tu fais ça, t’es mort. Même si tu ne te considères pas gay, on te rejette. On préfère penser que tu vends de la drogue plutôt que ton corps », confie Trevon, 21 ans.
Nombre de ces jeunes ne parlent à personne, souffrent de dépression, consomment de la drogue pour « oublier », et s’éloignent des structures d’aide par peur du jugement.
Une absence criante de politiques publiques
Les rares structures qui s’occupent de ce phénomène sont des ONG souvent mal financées. L’État fédéral, quant à lui, reste largement silencieux sur la prostitution masculine, qui ne bénéficie ni de programmes d’accompagnement dédiés ni de campagnes de prévention.
« Ce sont des jeunes qu’on ne voit pas, qu’on ne veut pas voir », déplore Mark Gillespie, travailleur social dans un centre LGBT de Philadelphie. « Et pourtant, ce sont eux qui sont les plus en danger. »
Le manque de dépistage, l’exposition aux IST, aux violences sexuelles, à l’addiction, mais aussi aux abus de clients violents ou de la police sont autant de risques ignorés.
Vivre autrement : quelques lueurs d’espoir
Certains réussissent à sortir de ce cercle infernal grâce à des parcours de résilience ou l’appui d’associations locales. C’est le cas de Malik, aujourd’hui éducateur dans un centre d’accueil pour jeunes sans-abri.
« J’ai tout traversé. Aujourd’hui, je raconte mon histoire dans les lycées. Je veux qu’ils sachent qu’il y a une autre voie. »
Mais ces réussites restent rares. Tant que le sujet restera tabou, ces jeunes hommes continueront de vivre dans l’ombre, monnayant leur corps dans un silence assourdissant.
Briser le silence pour sauver des vies
Parler de la prostitution masculine des jeunes Noirs américains, c’est lever le voile sur un pan méconnu des inégalités raciales et sociales aux États-Unis. C’est aussi reconnaître que derrière chaque corps vendu, il y a un cri, une détresse, un besoin de dignité. Il est temps de regarder cette réalité en face et d’y répondre avec humanité, politique et solidarité.
Paule Kadja TRAORE
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