[Reportage] Amour et castes au Sénégal : Le cœur a ses raisons que les coutumes ignorent

Au  21e  siècle, les us et coutumes persistent encore au Sénégal où ils ont de beaux jours devant eux. En dépit des chocs générationnels imposés par la modernité, les croyances ancestrales ont toujours le dernier mot. Du moins, en amour où la problématique des castes engendre les pires déceptions. Seneweb s’est intéressé à cette question qui relève parfois du tabou dans certains cercles, souvent objet de rejet chez la jeune génération, tout le contraire chez les aînés en majorité conservateurs. Reportage.
Trouvé  à  la  plage  de  Malika, accompagné  de  ses  amis, Abdou Seck, un jeune homme de 26 ans, noie son chagrin dans les exercices sportifs et d’autres activités récréatives. L’amour, cette relation fusionnelle entre deux êtres, il n’y croit plus. A ceux qui disent que l’amour est plus fort que tout, il rétorque qu’aussi puissant qu’il puisse paraître, l’amour a aussi ses barrières infranchissables. Du moins sous nos cieux, où les problèmes de castes se posent toujours.

Issu de la caste des forgerons communément appelée « Teugue » en langue locale, Abdou Seck n’est plus dans une  relation  amoureuse depuis  presque  un  an.  Il a  rompu  avec  sa  petite  amie alors qu’il projetait de lui mettre la bague au doigt. Ceci, parce  que  tout  simplement ils  ne sont pas de mêmes classe sociale et leurs  parents se  sont farouchement  opposés à  leur  projet  de  mariage. Le cœur lourd, il ressasse. « J’ai  tourné le  dos  à  la  femme  de  mes  rêves. Une  femme  que  j’aimais de tout mon être », confie Abdou, plongé dans la mélancolie.  
« On  s’aimait depuis  tout  petit. Elle  et  moi  avons  vu  notre  amour s’agrandir  au  fil  du  temps. Mais  dès  que  nous  avons  décidé  de  fonder  un  foyer, mes  parents m’ont explicitement fait  savoir  que  notre  amour  est  impossible  parce  que  tout  simplement  je  suis  Teugue et je dois  pas  épouser une fille de ma caste. Ils m’ont dit qu’ils n’hésitent  pas  à  rompre  avec moi  si  toutefois j’épouse celle que j’aimais. Etant  faible  et  incapable  face  à  leur  décision, j’ai  renoncé  à  mon  choix  pour  ne  pas  leur  désobéir  même  si  ça  n’a  pas  été  facile  pour  moi. Depuis  lors, je n’arrive plus  à  me  remettre  dans  une  relation  amoureuse », confie-t-il.

Amour vs famille, un choix difficile
 Contrairement  à  Abdou qui  a préféré sacrifier son amour pour les beaux yeux de ses parents, Rougui  Diallo, la trentaine révolue, a suivi le choix du cœur, contre vents et marées. Femme au foyer, cette Matioudé (esclave, en langue Pulaar) a préféré rompre avec ses  parents  et  toute  sa  famille pour  se  caser  avec  l’homme  de  sa  vie  qui  est  issu  également d’une  famille  toucouleur  mais  de  caste noble  qu’on  appelle  les  Torodos  en  Pulaar. Malgré  le  désaccord  de  leurs  familles  respectives  sur  leur  union, elle  et  son  mari  se  sont  battus  pour  imposer  leur  mariage  et  construire  leur  foyer.
Aujourd’hui, le  couple  est  à  6 ans  de  mariage  mais  vit  très  éloigné  de  leurs  familles  respectives. « Je  me  sens  seule  même  si  la  présence  de  mon  mari  à  mes  côtés  me  réconforte  parfois. Mes  parents  et  ma  famille  ont  tous  décidé  de  me  tourner  le  dos  parce  que  tout  simplement  je  me suis mariée  avec  une  personne  qui  n’est  pas  de  la  même  caste  que  moi », déplore-t-elle. Mais son choix, elle est loin de le regretter.  

« J’assume  pleinement  ce  choix  même  si  ce n’est  pas  facile  à  mon  niveau  car  mes  parents  ont  dégagé  toutes  responsabilités  envers  moi. Je  n’ai  plus  personne  sur  qui  compter  en  cas  de  besoin  et  cette  situation  est  pareille  du  côté  de  mon  mari  également. Nous  vivons  dans  la  même  situation. Mon  mari  et  moi  avons  frappé plusieurs fois à leurs  portes  pour  des  réconciliations, mais ils refusent  catégoriquement de  céder. Parfois  ça  me  fait  mal  de  voir  mes  enfants  grandir  loin  de  leur  famille  et  surtout  de  leurs  grands-parents », glisse-t-elle  dans une  grande  tristesse.
L’amour a tous les droits…
Loin  du fardeau de l’amour impossible, Fatima  Sylla, 20 ans, étudiante  à  l’université  Cheikh  Anta  Diop  de  Dakar, n’approuve  pas  ce  genre  de  pratique  discriminatoire érigée en règle par notre société. En couple, elle n’accorde aucune importance aux problèmes de castes. « Je suis en couple avec quelqu’un. Cependant, j’ignore  de  quelle  caste  il  est, car  ça  n’a  aucune  importance pour  moi », lance-t-elle sans sourciller.
L’essentiel, poursuit-elle, « c’est qu’on s’aime d’une  manière  réciproque  et  qu’on  pratique la même  religion. Actuellement  nous  sommes  sur  un projet  de  mariage  mais  si  toutefois  mes  parents  décident  de  me  séparer  de  lui  à  cause  des  histoires  de  castes, je  n’hésiterais  pas  à  leur  tourner  le  dos  pour  vivre  avec  mon  mari  même  si  ce  choix  reste  quand  même  difficile  à  assumer. Les  parents  doivent  vraiment  avoir  un  esprit  de  dépassement ».

Du  même  avis  que  Fatima, cette  jeune  maman (elle a requis l’anonymat)  qui  s’apprête  à  rejoindre  son  lieu  de travail, interpellée  en  cours  de  route, fustige  la  démarche  de  certains  parents  qui  freinent  les  relations  amoureuses  de  leurs  enfants  pour  des  histoires  de  castes. « Je  trouve  que  certains  parents  exagèrent  avec  ces  histoires  de  castes.  C’est  ridicule  de  sous-estimer  les  gens  à  ce  niveau. De  toute  façon, mes  enfants  sont  libres  de  se  marier  avec  qui  ils  veulent. La  seule  chose  qui  compte  pour  moi  c’est la  religion;  à part  ça, les  histoires  de  castes , je  m’en  fous complètement  car  la  caste  ne  renseigne  aucunement  sur  la  personnalité  d’un  individu. Il est temps  que nous  mettions à  terre ces pratiques  destructrices qui  ne  font  que  diviser  davantage  notre  société », lance  la dame  dans tous  ses  états.

Même si les religions musulmane et chrétienne convergent dans le même sens, ce cri  du cœur de la dame ne trouvera pas de sitôt un écho favorable auprès de l’ancienne génération très conservatrice.  La religion oui, mais les traditions d’abord ?
Agé  de  60  ans, Alioune  Ndiaye trouvé  assis  sur  une chaise  devant  sa  maison, chapelet à  la main, reste  toujours attaché aux valeurs traditionnelles même si celles-ci entrent en contradiction avec les principes religieux.
« Les  enfants d’aujourd’hui ne se renseignent plus sur leur culture. Ils vivent dans  une extrême  acculturation. Les  castes sont une réalité indéniable dans notre tradition  que  les  enfants  doivent  impérativement  connaître. C’est  normal  que  les  parents  s’impliquent  sur  le choix  amoureux  de  leurs  enfants  parce  que  certaines  unions  de  castes  différentes  sont  interdites  voire maudites  par  nos  ancêtres  et  ça,  les  enfants  l’ignorent.  Les  parents  sont  donc  censés rappeler  les  enfants  à  l’ordre  dans  ce  cas », rétorque-t-il.
Une perception qui trahit les préceptes religieux à propos du mariage, de l’avis de Mouhamed Ba, maître  coranique  résidant  à  Keur  Massar. Entouré  d’une  centaine  de  talibés  qui  récitent  à  haute  voix  le  coran  dans  la  cour  de  sa  maison, le  maître  coranique  appelle  la  société sénégalaise surtout les parents à la  retenue. 

« J’appelle  les  parents  à  une  prise  de  conscience  dans  cette  affaire. Ils  n’ont  aucun  droit  de  s’opposer  au  mariage  de  leurs  enfants  pour  uniquement  des  raisons  de  castes. Nous  sommes  tous  égaux  devant Dieu. D’ailleurs, il  n’est  écrit  nulle  part  dans  le  coran  que  deux  personnes  de  castes  différentes  ne  peuvent pas  se  marier. L’essentiel, c’est qu’ils  soient  tous  issus  de  la  même  religion. Sinon  le  reste  c’est  des  détails », analyse-t-il.

Seneweb

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