Quand les suspendus (de la Cedeao) suspendent leur participation (à la Cedeao)

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont pris la sous-région de court en annonçant, le 28 janvier, leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

Le désamour entre les deux Afriques de l’Ouest a toutes les apparences d’un bras de fer conjugal : une partie tient l’autre à distance, et cette dernière, officiellement « répudiée », affirme qu’elle n’a pas été quittée et que c’est elle qui claque la porte.

Au-delà des bouffées d’orgueil de régimes politiques temporaires, les observateurs continuent de décrypter l’annonce du retrait du trio de l’Alliance des États du Sahel (AES) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). À l’ivresse de l’instantanéité révolutionnaire ont vite succédé des questions procédurales.

Légalité et légitimité

Pour les technocrates, la décision du Mali, du Burkina Faso et du Niger de quitter la Cedeao « sans délai » est illégale, puisque le traité fondateur de l’organisation stipule que tout État désireux de se retirer est tenu de se conformer à ses obligations au cours de l’année qui suit ladite décision. Les trois régimes étant chacun issus du viol de leur Constitution au nom d’une souveraineté renouvelée, tout porte à croire qu’ils ne s’embarrasseront pas de ces considérations juridiques.

Au-delà de la question de la légalité, celle de la légitimité démocratique à décider d’un retrait de la Cedeao inspire aux membres les moins subtils de ces juntes une logorrhée populiste, dans laquelle ils dénoncent l’influence excessive « de puissances étrangères » sur l’organisation sous-régionale et la trahison de ses « principes fondateurs ».

Les plus caustiques rappellent que le traité de Lagos fut signé, en mai 1975, par le Malien Moussa Traoré, le Voltaïque Sangoulé Lamizana et le Nigérien Seyni Kountché, trois militaires dont l’accession au pouvoir avait été marquée, elle aussi, par des soubresauts constitutionnels…

Si le populisme charrie souvent les pensées idéalisées de peuples mystifiés, il est une question qu’une partie de ces populations aimerait soumettre à la Cedeao : pourquoi cette organisation n’a-t-elle jamais engagé de troupes sur le front anti-jihadiste, elle qui en brandit la menace contre les putschistes ?

Alors que des internautes facétieux s’efforcent de détendre l’atmosphère en suggérant que les footballeurs maliens et burkinabè soient « sans délai » déclarés en situation irrégulière en Côte d’Ivoire, où ils participent à la CAN, certains essaient d’imaginer les conséquences du retrait d’une communauté sous-régionale qui se voulait avant tout économique. Dans trois pays qui ne disposent d’aucune façade maritime, quels seront les effets concrets de ce retrait en matière de circulation des biens et des personnes, et, en particulier, pour les taxes douanières ou les visas ?

Cohérence idéologique

Même si son calendrier a surpris, le retrait coordonné du Mali, du Burkina Faso et du Niger est somme toute logique, compte tenu du positionnement idéologique des juntes. Il amène cependant à s’interroger sur la sincérité des militaires qui prétendent ne pas vouloir s’éterniser au pouvoir. Des régimes « transitoires », censés se consacrer au règlement rapide d’une crise sécuritaire, ont-ils vocation à modifier leur Loi fondamentale ou encore à remettre en cause l’appartenance de leur État à des organisations auxquelles ceux-ci ont adhéré il y a des décennies ?

Après l’évaporation du G5 Sahel et la bouderie de trois membres de la Cedeao, chacun essaie de deviner quel sera le prochain coup de théâtre dans la sous-région. Le volontarisme nationaliste tranchera-t-il aussi brutalement sur l’appartenance à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) ? Abandonner « sans délai » le franc CFA serait une autre paire de manches…

Jeune Afrique

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