Niger : « En Afrique, l’image de puissance militaire de la Russie est ébranlée »

« On veut la Russie », « à bas la France ». Des slogans antifrançais et prorusses ont une nouvelle fois été criés dimanche lors d’une manifestation pro-putsch à Niamey, au Niger, quatre jours après la prise de pouvoir du commandant de la garde présidentielle, Abdourahamane Tchiani.

Justifié par la « situation sécuritaire » du pays, ce coup d’État risque d’accroître l’instabilité de la région et d’y faire vaciller encore un peu plus l’influence française, après les putschs au Burkina Faso, en septembre 2022, et au Mali en août 2020. Si la situation dans le pays a été condamnée par la Russie comme par la Cedeao et les Occidentaux, la répétition questionne. Faut-il y voir la marque de Moscou ?

Pour Thierry Vircoulon, chercheur associé au centre Afrique de l’Ifri et auteur de La RussAfrique à l’épreuve de la guerre, si « le scénario qui se joue à Niamey est le même qu’à Ouagadougou et à Bamako », la Russie perd en crédibilité en Afrique depuis le début de la guerre en Ukraine.

Thierry Vircoulon : Pour le Niger, il ne faut pas aller trop vite. Les événements sont en cours, il faut voir ce que cela donne. Le bloc pro-Russie est perceptible à travers les votes à l’ONU. En février dernier, en effet, l’Érythrée et le Mali ont voté en faveur de la Russie lors de la résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine, tandis que la Centrafrique s’est abstenue. Mais un bloc à deux, cela ne fait pas beaucoup sur cinquante-quatre États. Ceux qui s’abstiennent ne prennent pas position : ils sont opportunistes ou prudents, cela dépend du prisme, et cherchent à faire monter les enchères dans le cadre de l’affrontement géostratégique en cours entre la Russie et les Occidentaux.

Mais depuis qu’elle piétine en Ukraine, où elle est loin d’être un vainqueur, la Russie recule en Afrique, où son image de puissance militaire est ébranlée. L’un de ses principaux leviers d’influence est la vente d’armes. Nous ne disposons pas de chiffres pour 2022, mais en bonne logique, l’industrie d’armement russe tourne sur le champ de bataille en Ukraine, donc elle devrait être moins capable d’en fournir.

Il y a une grande disproportion entre le discours de Moscou et ses réalisations concrètes en Afrique

Les contrats économiques conclus lors du sommet Russie-Afrique de Sotchi en 2019 se sont, eux, révélés pour beaucoup des contrats d’apparat, peu ont été mis en œuvre. Et si les ventes de pétrole russe ont augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine, le reste des exportations est en recul à cause des sanctions. Il n’est même pas sûr que Vladimir Poutine parvienne à livrer les céréales qu’il a promis de fournir ? et qu’il cherche aussi à vendre ?, lors du récent sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg. Pour cela, il faudrait que ses bateaux sortent de la mer Noire et arrivent jusqu’en Afrique, ce qui sera une fois de plus difficile à concrétiser.

Il y a une grande disproportion entre le discours de Moscou et ses réalisations concrètes en Afrique. Les Africains en ont conscience : les discours de la Russie ne sont pas suivis d’effets et cela conduit à une perte de crédibilité. À Saint-Pétersbourg, seuls 17 chefs d’État africains étaient présents, contre 45 à celui de Sotchi en 2019. Certains n’ont même pas voulu apparaître sur la photo.

Quelles sont les stratégies d’influence du Kremlin sur le continent ?

À part les ventes d’armes, la Russie manie surtout une communication diplomatico-médiatique pour séduire les pays africains. Moscou met l’accent sur le fait que dans le monde multipolaire qu’il dit promouvoir, l’Afrique aurait son mot à dire et serait importante. La Russie joue aussi sur le ressentiment anti-colonial, en affirmant qu’elle n’a jamais été une puissance coloniale, ce qui est faux bien entendu, mais qu’elle ne l’a pas été en Afrique. Elle rappelle le passé et met en accusation les Européens via les réseaux sociaux, en particulier Facebook.

Sa stratégie repose aussi sur des offres de coopération, dans le domaine militaire, mais aussi dans l’éducation, avec des offres de formation et de bourses pour les étudiants africains, qui ont continué malgré la guerre en Ukraine. Cela reste bien sûr anecdotique par rapport au nombre d’étudiants en Afrique.

Il reste quand même notable que ce putsch a eu lieu un jour à peine après l’ouverture du sommet Russie Afrique

Pourtant, des drapeaux russes ont été brandis à Niamey lors d’une manifestation pro-putsch et antifrançaise, dimanche. Comment l’expliquer ?

C’est devenu une sorte de tradition. Dès qu’il y a un putsch, il y a une manifestation devant l’ambassade de France avec des drapeaux russes. On peut le mettre sur le compte des campagnes de propagande digitale lancées par la Russie.

L’Afrique est le champ de la rivalité directe entre la France et la Russie depuis que Poutine l’a décidé en 2017, APRÈS la première guerre en Ukraine [en 2014, lors de la prise de la Crimée, NDLR]. À partir de là, des sanctions occidentales ont été prises contre la Russie, qui a décidé en retour de passer à l’offensive. La Russie veut à la fois se développer en Afrique face aux sanctions, et y faire décliner l’influence française, pour fragiliser la France et lui rendre la monnaie de sa pièce.

C’est évident, lorsqu’on analyse les manœuvres de désinformation sur les réseaux : les organismes visés sont l’ONU, l’Union européenne et la France, mais jamais les États-Unis par exemple. Le problème est que la prise de conscience de la France a été tardive, à partir de l’installation de Wagner en Centrafrique puis au Mali. Il est encore trop tôt pour dire que cela se passera de cette façon au Niger.

On peut dire qu’une campagne est en cours depuis plusieurs années pour exciter les sentiments antifrançais et expulser la France de ces pays. Il n’y a, par contre, pas d’intérêts russes particuliers au Niger, bien que le scénario qui s’y joue soit le même qu’à Ouagadougou et à Bamako. La Russie vend des armes à Niamey, mais n’y a pas d’activités spécifiques. Il reste quand même notable que ce putsch a eu lieu un jour à peine après l’ouverture du sommet Russie-Afrique.

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