VIOLENCE CONJUGALE : Alimatou ou le souffre-douleur d’un mari cruel

Coups de poings, gifles, humiliations, séquestration, étranglements, brûlures, fractures, dénigrements, ordres contradictoires, éclats de voix, menaces de destruction de biens… Tels sont les types de violences faites aux femmes en Afrique et dans le Monde. Au Sénégal, précisément à Dakar, d’après les statistiques fournies par l’Association des juristes sénégalais (AJS), 1700 femmes dont la tranche d’âge varie entre 15 et 49 ont été violentées par leurs époux en  2020

Assise, toute seule, sur le banc en pierre fixé à l’entrée de la maison familiale à Yeumbeul Nord, en banlieue dakaroise (Sénégal), Alimatou tente, à l’aide de son smartphone, de s’évader d’un bien lourd passé qui hante encore ses quotidiens.  Le pagne en tissu wax aux couleurs palies bien noué autour des reins, assorti d’un Tee-shirt noir, elle ambitionne, à 26 ans, de refaire sa vie après un mariage qui s’est soldé par un échec des plus inattendus au regard des espoirs nourris au tout début de cette union sacrée. La politesse avec laquelle elle nous reçoit chez elle et les poignées de mains chaleureuses, le sourire aux lèvres, convainquent sur le sens élevé d’hospitalité de sa personne.

Mais ce visage si aimant deviendra vite disgracieux, malgré elle, lorsqu’elle se met à raconter sa vie de femme mariée, faite de torture, de rabaissement, de souffrance charnelle, pendant cinq mémorables années. « Il (son ex-mari) a bien caché son jeu. Il était attentionné, doux et céder à tous mes caprices, c’est pourquoi je l’ai choisi. Mais ce que je croyais être une idylle n’était qu’un songe, car ce mariage ne durera que 4 ans », raconte Alimatou dans une voix chargée d’émotion, le regard tourné vers le bas. Dans ses confessions, elle poursuit : « Une fois le mariage scellé, nous avions une chambre au domicile familial de mon mari. C’est une grande concession où résident certaines de ses sœurs et leurs époux ainsi que ma belle-mère. Ces dernières sont à l’origine de notre séparation. Mon ex-mari étant fils unique adorait sa maman et ses sœurs au point de les placer  au-dessus de notre ménage. Après juste quelques semaines de mariage, j’étais devenue la bonne à tout faire de la maison, la première à me réveiller et pratiquement la dernière à me coucher. Seule, je balayais la grande cour, entretenais propres les trois toilettes de la maison, préparais le petit-déjeuner et les autres repas pour la belle-famille, entre autres ».

A cause de ces corvées, la jeune femme divorcée confie avoir failli  avorter lors de sa première grossesse car, personne parmi ses belles-sœurs n’acceptait de la seconder dans ces travaux domestiques. 

Un passébien trop malheureux dans les liens du mariage qu’elle regrette puisque dans une vie antérieure, Alimatou dit avoir vécu une merveilleuse histoire d’amour avec son ex avant de se marier.

Aujourd’hui, la vie reprend son court pour cette jeune dame divorcée depuis plus de 2 ans maintenant, avec ses deux petits garçons. 

Comme Alimatou, elles sont nombreuses les femmes qui ont connu, dans l’intimité du foyer conjugal, coups de poings, gifles, humiliations, séquestration, étranglements, brûlures, fractures,dénigrements, ordres contradictoires, éclats de voix, menaces de destruction de biens… mais il faut comprendre que les violences conjugales sont, dans une relation privée ou privilégiée, des atteintes volontaires à l’intégrité de l’autre, une emprise, un conditionnement dont il est difficile de se dégager lorsqu’on en est la victime. Selon, les statistiques  fournies par l’Association des juristes sénégalais (AJS), qui se base sur les cas traités dans les boutiques de droit, 1700 ont subi  violences de différents types (physique, verbale, économique…) en 2020.

Entre la pauvreté des siens et la richesse d’un mari cruel

Issue de parents démunis, Alimatou n’avait d’autres choix que d’accepter cette souffrance que lui faisait subir sa belle-famille. Avec le recul, elle s’aperçoit que ses parents l’utilisaient comme monnaie d’échange. « Mes parents n’ont pas les moyens de nous prendre en charge. A la maison, chacun se débrouille pour participer à la dépense quotidienne. Ainsi, vu que mon ex-mari est un salarié qui pouvait subvenir à mes besoins et ceux de mes parents, ces derniers tolèrent tous ses défauts et ne font pas attention à mes nombreuses plaintes »,soutient-elle, les larmes coulant sur ses joues.

Le regard étincelant durant sa narration montre à quel point elle a souffert de cette vie de couple dans laquelle le pouvoir de l’argent, ajouté à la cupidité de ses parents, pesait de tout son  poids sur ses épaules. « Quand ma maman est venue me rendre visite pour la première fois, et qu’elle a vu que j’avais une armoire de six battants, un grand lit, une coiffeuse et une télévision, elle m’a dit, les larmes aux yeux : tu as eu ce que je n’aurais jamais dans la vie, tout ce confort m’est inconnu et tu peux en témoigner, donc je t’exhorte à rendre heureux ton mari et à lui être soumise», explique Alimatou.

« Pourtant, poursuit-elle, ce ne sont que des meubles qui ne peuvent même me secourir quand je reçois des coups, quand je me fais engueuler pour un rien, quand on me viol… ».

A toute chose, il y a une fin

Vu qu’elle ne pouvait pas compter sur le soutien moral de ses parents, Alimatou a dû continuer à souffrir en silence pendant 4 ans. Avant de se résoudre à mettre un terme à ce cauchemar. « Le déclic a sonné un matin alors que j’étais enceinte de mon second enfant.La veille, toute la nuit durant, je me tordais de douleurs au bas ventre. Quand j’en ai parlé à mon époux pour solliciter une prise en charge à l’hôpital, il m’a dit niet. Le comble, c’est qu’en sortant de la maison ce matin-là, il m’ajuste balancé la dépense quotidienne,avant de commander un plat de riz au poisson rouge. Dès qu’il a quitté la maison pour se rendre au boulot, j’ai pris les 10 mille francs et je me suis rendu à l’hôpital », raconte-t-elle.

Pour autant, Alimatou n’est pas tirée d’affaire. Une fois à l’hôpital, les médecins ont découvert qu’elle souffrait d’une anémie sévère. « Sentant que ma vie était en danger, je suis allée me réfugier chez une tante. De là, il a été informé de mon absence par ses parents, et m’a joint au téléphone pour me commander de revenir dare-dare à la maison et de faire la cuisine avant son retour. Bien entendu, je n’ai pas prêté attention à ses injonctions. Bénéficiant du soutien de ma tante, je suis resté chez elle, espérant qu’il vienne pour qu’on arrange les choses. Ce n’est jamais arrivé. Pire, il a refusé d’acheter mes médicaments. J’ai finalement eu une grossesse très compliquée, car malgré sa gentillesse légendaire, ma tante  est dépourvue de moyens financiers »,  révèle-t-elle avec le cœur meurtrie. Après l’accouchement, Alimatou déclare que son mari n’a pas voulu baptiser l’enfant. Chose qui l’a déprimée puisqu’elle ne pouvait compter, à ce moment, sur ses parents.

Comme si le sort s’acharnait sur elle, Alimatou a également dû faire face à la clameur populaire, aux commérages du voisinage, au regard repoussant de la communauté. « Dans notre société, lorsqu’une femme rompt le mariage, on pense qu’elle le fait pour se donner plus de liberté. On ne cherche pas à comprendre les raisons. Certains me reprochent d’avoir quitté le domicile conjugal sans raison. Ce sont ces genres de remarques qui peuvent m’anéantir au plus profond de moi. Parce que je ne pouvais pas me permettre de mettre tout le monde au courant de mes déboires familiaux », explique notre interlocutrice.

Les boutiques de droits, une bouffée d’oxygène pour les opprimées

Retrouvée dans une impasse trop longtemps, Alimatou finira par découvrir une large fenêtre d’opportunitépour se libérer des chaines invisibles autour de son cou. C’est à travers une des émissions de société sur une chaine de télévision sénégalaise qu’elle a en effet pris connaissance de l’existence d’une boutique de droit qui aide des victimes démunies à faire face à leurs bourreaux en leur affectant un avocat pour assurer leur défense, gratuitement.

« Un soir, j’étais allongée sur le lit de ma tante, on suivait ensemble une émission sur les cas de violences faites aux femmes et les moyens dont elles pouvaient user pour se défendre et ester leurs bourreaux en justice. J’ai bondi sur le lit comme une fauve, je me suis dit qu’il faillait coûte que coûte que je retrouve cette association qui parlait de cela. C’était l’association des juristes du Sénégal. J’avais retenu dans le débat, qu’elle avait ses locaux dans la commune de la Médina. Ainsi, avec une forte détermination, je me suis rendue dans leur boutique. J’ai été bien reçue. Pour une fois dans ma vie, j’ai fait face à un individu qui m’a tendu l’oreille et qui était sensible à ma situation. Grâce à cette rencontre, j’ai eu le courage de demander le divorce et de reprendre ma vie en main. En effet, en tant que victime de violence l’Ajs a mis gratuitement un avocat à ma disposition pour défendre mes droits. Résultat de ce marathon, je bénéficie actuellement d’une pension qui m’aide à entretenir mes enfants.

Sise à la Médina, une des 19 communes d’arrondissement de la ville de Dakar, la boutique de droit offre un paquet de services  gratuit aux femmes et enfants victimes de violences.

Mme Amy Sakho, la chargée de communication de l’Ajs, renseigne  que l’association a été fondée en 1974 par la volonté de certaines éminentes juristes sénégalaises dans le but d’améliorer la situation des groupes les plus vulnérables de la population, en particulier les femmes et les enfants. Ses membres sont des professeurs de droit, magistrats, avocats, juristes, notaires. Toutes partagent la volonté de développer et de diffuser de manière adéquate le droit dans tout le pays, même lorsqu’il n’y a pas les moyens. En tant qu’actrice indépendante, apolitique et non religieuse, l’association vise à promouvoir le respect des droits de l’homme, aide la population locale à lutter contre la discrimination en affirmant l’égalité des sexes. En outre, elle sensibilise à la promotion des femmes, recueille et diffusedes informations et données sur les conditions de vie des femmes et des enfants sans protection, encourage les partenariats nationaux et internationaux.

Paule Kadja TRAORE

Cet article a été réalisé avec le soutien de l’ Africa Women’s Journalism Project (AWJP) en partenariat avec l’International Center for Journalists (CFJ) et le soutien de la Fondation Ford en Afrique de l’Ouest

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