En Algérie, les pêcheurs de Khemisti pansent leurs plaies après les inondations

Dans le petit village de pêcheurs de la région algérienne de Tipaza, on peine à se remettre des dégâts causés par les inondations de mai. Quant aux aides promises, elle tardent à arriver.

« Il ne me reste plus qu’à prendre la mer sur un Zodiac de harraga [migrants clandestins] ou à me suicider », soupire Rachid, dévasté par la perte de sa barque de pêche de 6 mètres, son gagne-pain.

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Fin mai, les inondations survenues dans la région de Tipaza, provoquées par les pluies exceptionnelles pour la saison, ont tout emporté sur leur passage – maisons, meubles, voitures, blocs de pierres – et causé la mort d’un garçon de 9 ans qui a succombé à ses blessures, suite à l’effondrement du mur du stade de son quartier. La boue apparue au moment de la décrue a complètement recouvert le port de Khemisti et endommagé les embarcations.

Port impraticable

Cela fait quarante que la famille de Rachid vit dans ce village côtier, distant de 70 km d’Alger et fondé en 1872 par des Siciliens originaires de Cefallu qui le baptisèrent Chiffalo. Ses habitants continuent de l’appeler ainsi, même si depuis 1964, il porte officiellement le nom de Mohamed Khemisti, premier ministre des Affaires étrangères algériennes, assassiné en mai 1963 à Alger.

Chaque jour depuis la catastrophe, le quadragénaire enfile ses bottes en caoutchouc et rejoint les autres pêcheurs pour tenter de remettre en marche la flotte, estimée à 150 bateaux de pêche de 7 à 14 mètres de longueur et 80 barques de plus de 4 mètres, et rafistoler les filets. Prés de deux mois d’efforts plus tard, les quelques chalutiers qui ont pu être réparés n’ont pas été en mesure de reprendre le large à partir du port de Chiffalo, qui reste impraticable à ce jour. Il a fallu les remorquer jusqu’au quai de Bouharoun, à une dizaine de kilomètres, pour qu’ils puissent à nouveau sortir en mer.

Au total, 1 027 pêcheurs de la région de Tipaza se sont retrouvés subitement sans moyens de subsistance. Le 28 mai, le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune a décidé, lors du conseil des ministres, de leur octroyer une aide mensuelle de 30 000 dinars, jusqu’à la réouverture des ports endommagés. L’enveloppe financière de 10 milliards de dinars dégagés du Fonds des catastrophes naturelles devait, en outre, servir au remboursement des équipements et matériels de pêches détruits, et au relogement des familles.

Route bloquée et pneus brûlés

« Nous n’avons reçu aucun centime. Je n’ai même pas de quoi nourrir mes enfants », déplore pourtant le voisin de Rachid. Il ne décolère pas et balaie d’un revers de main l’argument brandi par les autorités locales, qui rappellent la nécessité d’effectuer toutes les procédures administratives d’usage avant d’autoriser le versement de l’argent.

La visière de sa caquette beige rabaissée pour tenter de masquer sa tristesse, l’homme raconte qu’a la veille de l’Aïd al-Adha, les sinistrés ont bloqué la route menant à leur village et brûlé des pneus pour protester contre le retard pris dans la distribution des aides promises. Cette atmosphère explosive a contraint la société chargée d’extraire le sable et la boue qui obstruent le port à plier bagages. « Ma famille a perdu un filet de pêche qui coûte 700 millions de centimes », confie Sofiane, la vingtaine, benjamin de la fratrie, pour justifier ce ras-le-bol.

Ces pertes viennent s’ajouter à la baisse constante de revenus des marins-pêcheurs, provoquée par la rareté du poisson et l’obligation, tous les trois ans, de suspendre leur activité pendant les opérations de dragage nécessaires pour lutter contre l’ensablement du port qui réduit progressivement la profondeur des eaux.

« On ne peut pas recourir indéfiniment à des dragages, explique Kadir, une voix respectée dans le village. Il faut procéder à une extension du port. La pêche de la sardine est une tradition bien ancrée à Khemisti. L’idéal serait de jumeler le port de Khemisti et celui de Bouharoun, qui sont séparés par une bande rocheuse qui ne dépasse pas les 2 000 mètres linéaires. Outre le fait de booster le secteur de la pêche, le jumelage des deux ports constituerait une opportunité sur le plan touristique, avec la création d’un front de mer qui générerait plusieurs activités attractives, et permettrait d’ouvrir des restaurants de poissons. »

Nouvelles promesses

En 2011, l’État a consacré près de 42 milliards de dinars à la réalisation et à l’aménagement d’infrastructures maritimes et portuaires à travers le pays. Le port de Khemisti figurait dans la liste des sites supposés en bénéficier. « Quatre ministres de la Pêche nous ont fait miroiter la fin de notre calvaire, mais rien n’a été fait, constatent les villageois. On aurait pu éviter la catastrophe. On veut cette fois-ci le règlement du problème à la source. » En visite d’inspection après les inondations, le ministre de la Pêche et des Productions halieutiques leur a promis d’intégrer le projet d’extension du port dans le programme du secteur pour 2024. Mais les promesses, les habitants de la commune de Khemisti n’y croient plus.

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