COP26 : poussée à agir pour le climat, « la Chine est prise dans ses propres contradictions »

Joe Biden a critiqué mardi l’absence de son homologue chinois à la COP26. Que signifie cette absence, alors que la Chine, le plus gros pollueur de la planète, investit massivement dans les énergies vertes ? Selon Jean-François Huchet, professeur d’économie à l’Inalco, la Chine est « prise dans ses propres contradictions », à la fois concentrée sur ses préoccupations nationales et désireuse de se présenter comme un « bon élève » de la préservation de l’environnement

Bien qu’une délégation chinoise soit présente à la COP26, qui a lieu jusqu’au 12 novembre à Glasgow en Écosse, l’absence du président chinois Xi Jinping a fait réagir. « C’est une grosse erreur, franchement, de la part de la Chine », a fustigé Joe Biden mardi 3 novembre lors d’une conférence de presse, dans un climat tendu entre Washington et Pékin. Selon lui, la Chine ne peut « prétendre à un quelconque leadership » en « tournant le dos » à la crise climatique.

Dès mercredi, Wang Wenbin, un porte-parole de la diplomatie chinoise, a répliqué, dénonçant les « mots creux » du président américain. « Les actes parlent plus que les mots », a-t-il assuré, rappelant les engagements « concrets » de son pays contre le réchauffement climatique. Parmi eux figurent la volonté d’atteindre un pic d’émissions de CO2 avant 2030 et l’objectif de la neutralité carbone d’ici 2060, soit dix ans après l’Union européenne, le Royaume-Uni ou encore les États-Unis.

Comme plus de 100 dirigeants, la Chine s’est par ailleurs engagée mardi à enrayer la déforestation. C’est aussi le pays qui investit le plus dans les énergies propres, selon l’ONU. Mais Pékin envoie par ailleurs des signaux contradictoires : le premier pollueur mondial – représentant 27 % des émissions totales de gaz à effet effet de serre – n’a pas signé l’engagement pris mardi par plus de 80 pays, dont les membres de l’UE et les États-Unis, à réduire leurs émissions de méthane de 30 % d’ici 2030 par rapport à 2020. En outre, la Chine est encore très dépendante du charbon.

Contacté par France 24, Jean-François Huchet, professeur d’économie, président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et auteur de « La Crise environnementale en Chine. Évolutions et limites des politiques publiques » (Presses de Sciences Po, 2016), décrypte les ambitions et les paradoxes de la Chine sur le plan environnemental.

France 24 : Xi Jinping ne participe pas à la COP26. Comment interprétez-vous la décision du président chinois ?

Jean-François Huchet : C’est une manière pour Xi Jinping de montrer l’exemple à la population dans le cadre de sa stratégie « zéro Covid ». S’il s’était rendu à Glasgow, il aurait dû, en effet, respecter une quarantaine à son retour. Cette décision s’explique aussi par le fait que la Chine ne veut plus être aussi dépendante qu’avant de la communauté internationale. Elle veut montrer qu’elle a moins besoin des étrangers, notamment dans cette phase de tensions avec les États-Unis. C’est un jeu à double tranchant car l’opinion publique mondiale a beaucoup évolué vis-à-vis de Pékin. Elle est désormais marquée par une détérioration de l’image de la Chine.

Xi Jinping est, en outre, très préoccupé par les problématiques internes à la Chine et est peu enclin à se déplacer en dehors des frontières de son pays, comme l’a aussi montré son absence au G20 [à Rome, samedi 30 et dimanche 31 octobre]. Par ailleurs, le prochain Congrès du Parti communiste aura bientôt lieu [à l’automne 2022] et Xi Jinping est donc particulièrement focalisé sur les questions de politique intérieure.

Quels sont les défis majeurs pour la Chine dans la lutte contre le dérèglement climatique ? Qu’attend d’elle la communauté internationale ?

Les défis sont immenses. La situation est encore extrêmement problématique sur la plan de la pollution de l’air et des émissions de polluants liées à l’utilisation du charbon, notamment dans les centrales thermiques et l’industrie lourde. La situation s’est un peu améliorée par rapport à 2013-2014. Un effort a été réalisé par les autorités chinoises, notamment sur le charbon et sur le déplacement d’un certain nombre d’usines très polluantes dans d’autres provinces [Pékin a déplacé ces usines à l’extérieur des villes pour réduire le rejet des particules fines et rendre l’air plus respirable en milieu urbain]. Mais la Chine brûle à peu près quatre milliards de tonnes de charbon par an [3,9 milliards en 2020]. C’est l’équivalent de ce qui est brûlé dans le reste du monde.

La Chine a annoncé, mercredi, un objectif de réduction de la consommation moyenne de charbon utilisé pour la production des centrales électriques. Quelles raisons poussent la Chine à prendre ce genre de mesures ?

La Chine n’a pas vraiment le choix. Compte tenu des données environnementales, elle a vu qu’elle allait droit dans le mur. Ces données internes la poussent à évoluer et à investir massivement dans les énergies vertes. De plus, la multiplication de grands scandales environnementaux [les nuages de pollution entre autres] a fini par faire pression sur le gouvernement. La population a été horrifiée par cette pollution et il y a eu une prise de conscience en Chine de son ampleur. Les autorités ont découvert le coût extrêmement élevé de ce problème de santé publique. Face à ces alertes, le gouvernement lui-même se rend compte qu’il faut réduire la pollution de l’eau, des sols ou dans le traitement des déchets.

La Chine agit-elle en conséquence ?

Le pays ne peut pas se désengager des énergies fossiles du jour au lendemain. Par exemple, si la Chine a refusé de réduire drastiquement ses émissions de méthane, c’est parce qu’une telle décision remettrait en question des pans entiers de son économie. Elle n’est pas prête à renoncer à cela. La Chine continue à énormément polluer car elle a besoin de construire des logements, des voitures, de poursuivre son effort industriel. Sur cet aspect, elle n’est pas au même niveau que l’Europe. Une grosse partie de sa population vit à la campagne et les classes moyennes sont encore en train de se développer.

D’une part, la Chine est à un stade économique où elle a besoin des énergies fossiles. D’autre part, elle se rend compte qu’elle ne peut pas pousser au maximum ce modèle car tous les voyants sont au rouge. La Chine 

 est prise dans ses propres contradictions. Donc, dans plusieurs décennies, une « Chine brune » et « Chine verte » vont devoir très certainement continuer à cohabiter.

Quel est l’intérêt pour la Chine d’investir massivement dans les énergies vertes ? 

Elle devait le faire et quitte à le faire, elle a décidé de devenir un leader mondial en la matière. Dans ce secteur, la Chine n’a pratiquement plus aucun concurrent étranger à l’échelle internationale. Elle est, par exemple, le leader mondial incontesté des panneaux solaires et c’est elle qui mène la danse sur le plan technologique. Cette volonté de poursuivre ce développement et de répondre à des attentes écologiques la pousse à investir dans les énergies vertes. Elle se focalise aussi sur ces énergies propres pour faire figure de bon élève aux yeux du monde mais, selon moi, cette stratégie vient en bout de course. L’enjeu est d’abord de dominer sur le plan technologique à l’échelle nationale puis internationale.

La Chine souhaite atteindre la neutralité carbone en 2060. Est-ce réalisable ?

L’horizon est beaucoup trop lointain. 2060, c’est dans 40 ans et quand on voit ce qu’il s’est passé pour la Chine sur le plan économique ces dernières années, c’est difficile d’anticiper. D’après moi, la Chine a pris cet engagement pour des raisons d’image et pour s’aligner sur les objectifs internationaux, à l’heure où plusieurs pays promettent d’atteindre la neutralité carbone dans les prochaines décennies. Mais en Chine, comment cet objectif va-t-il se traduire ? Quelles seront les politiques publiques et sur les plans économique et technologique ? Il est trop tôt pour le savoir. Je pense qu’il faut être prudent.

France24

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