Tribune : « Quand le covid met à nu les inégalités hommes-femmes » (Dr Adrienne Diop)

Depuis la survenue du Covid-19, notre santé, nos politiques sanitaires, nos économies, nos méthodes de travail, nos relations familiales et amicales, en un mot, nos vies ont été bouleversées de manière profonde et irréversible. Même dans l’espoir que cette pandémie soit maîtrisée et vaincue, nous ne vivrons plus et ne travaillerons plus comme avant. Son étendue géographique, le lourd tribut en vies humaines, l’impact négatif sur les économies de nos États, les bouleversements intervenus dans le système éducatif, les conséquences désastreuses sur certains corps de métier, les répercussions sur la vie en société et la vie privée, font du Covid-19 une pandémie à nulle autre pareille. En effet, le Covid-19 s’est révélé être beaucoup plus qu’un problème sanitaire. La pandémie a non seulement mis à nu la fragilité de nos systèmes sanitaires, mais elle a également déstabilisé nos économies et modifié notre mode de vie.

Le Covid-19 a permis de mettre les projecteurs sur certaines professions essentielles dont le rôle a été fondamental dans la gestion et prise en charge des malades dans les structures sanitaires et sociales. Ces personnels sont pourtant mal rémunérés et rarement appréciés à leur juste valeur.

Ma réflexion sera principalement axée sur un aspect peu évoqué par les gouvernements et les médias durant cette crise sanitaire : son impact différencié selon les genres. En effet, cela a été l’un des enseignements les plus marquants de cette pandémie. Le Covid-19 a impacté de manière inégale les femmes et les hommes. Les femmes, par la centralité de leur rôle dans la communauté et leur position dans la structure de notre économique, ont beaucoup plus souffert que les hommes de la crise sanitaire. Le Covdid-19 a mis en lumière les inégalités et les disparités socio-économiques déjà existantes entre les hommes et les femmes. Avec les plus bas revenus, vivant souvent dans des logements précaires et insalubres et ayant peu d’accès aux soins de santé adéquats, les femmes sont plus exposées aux infections.

Cette pandémie pourrait anéantir les progrès modestes mais importants, acquis en matière d’égalité des genres et des droits des femmes. À cause de la crise sanitaire, les avancées réalisées dans le cadre de l’équité sociale et de l’élimination de la pauvreté sont menacées.

Les conséquences de la crise sanitaire sont nombreuses, mais son impact sur les femmes est considérable et affecte par ricochet tous les autres secteurs. Nos espoirs collectifs post Covid-19 pourraient émaner de leur prise en charge, si l’on considère le rôle fondamental qu’elles ont joué dans sa gestion. Le Covid-19 est une opportunité pour revisiter et redéfinir nos politiques de santé en y renforçant le rôle des femmes et par de-là contribuer à la réduction des inégalités.

Bien qu’ayant été moins affecté que les autres continents si l’on considère le nombre de décès, l’Afrique a le plus souffert des conséquences du Covid-19.  Les pays africains ont payé un lourd tribut aux plans sanitaire, économique et sociétal. Le Covid-19 est venu affaiblir des structures sanitaires déjà fragiles, souffrant de politiques de santé souvent inadaptées, de manque d’infrastructures adéquatement équipées, de financement suffisant, de personnels pas toujours bien formés et souvent mal rémunérés. La pandémie a exacerbé les carences de nos systèmes sanitaires.

– Les femmes en première ligne –

L’impact de la majorité des crises (guerre et conflits, climat, économique, chômage) est toujours plus sévère sur les femmes que sur les hommes. Le Covid-19 ne fait pas exception. En raison de leur rôle dans la société et de leur forte présence dans les structures sanitaires et sociales, elles sont sur la ligne de front des intervenants de la lutte contre la pandémie, ce qui qui font d’elles les personnes les plus exposées au Covid-19. En effet, les femmes constituent 75% des infirmières, des aides-soignantes et du personnel de soutien. Il faut ajouter à cela que 86% des assistantes sociales et des aides à domicile sont des femmes.

Au niveau économique également, les femmes ressentent de façon plus prononcée les effets de la pandémie. Elles sont majoritaires dans les secteurs les plus affectés par crise sanitaire comme l’hôtellerie, la coiffure, le commerce et la vente, la restauration et la transformation de produits locaux. Selon les Nations unies, elles constituent également près de 60% des travailleurs qui évoluent dans le secteur informel. L’économie informelle est caractérisée par une certaine précarité, des bas salaires et moins de protection sanitaire. L’OIT informe qu’en 2020 la perte d’emploi des femmes atteint 5% contre 3,9% chez les hommes. Selon ONU Femmes, 75% des Sénégalaises évoluent dans l’économie informelle. Pour atténuer l’impact de la pandémie, le gouvernement sénégalais a soutenu des entreprises. Cependant, seules celles formellement constituées ont le plus bénéficié de cette aide, laissant un grand nombre de femmes livrées à elles-mêmes. Ces dernières sont également désavantagées par l’absence de prise en compte du travail domestique non rémunéré et l’augmentation des soins qu’elles prodiguent à domicile durant la pandémie. En 2020, les femmes représentaient 39% du monde du travail mais ont subi 54% des pertes d’emploi. À cause du Covid-19, près de 50 millions de femmes dans le monde vont basculer dans l’extrême pauvreté.

L’un des effets les plus inattendus et les plus dramatiques de la pandémie est la hausse de la violence domestique. En 2020, une femme sur cinq dans le monde a été victime de comportements violents dans son foyer. Confinement oblige, la situation des victimes de violence conjugale est aggravée par la présence permanente du partenaire en état de stress causé par le Covid-19. Il a été enregistré une hausse de 32% du nombre de plaintes relatives aux violences conjugales. À cette situation, il faut ajouter, les difficultés des services sociaux à répondre à un plus grand nombre de sollicitations dans un contexte de ralentissement économique.

La pandémie est venue nous rappeler que la santé est la chose la plus importante pour un être humain. Le Covid-19 a bouleversé nos vies par la transformation de notre organisation et méthode de travail, l’arrêt des industries, du commerce, des voyages. Nos systèmes d’enseignement ont subi des modifications majeures et la fermeture des hôtels, des restaurants, des lieux de spectacle et de divertissement nous a obligés à changer notre façon de vivre.

Pour faire face à ce défi, il est fondamental de mettre sur pied un système sanitaire performant basé sur des personnels de santé bien formés et bien rémunérés, une infrastructure de dernière génération régulièrement entretenue et des médicaments à suffisance. Ce système repose sur un financement adéquat, de solides politiques sanitaires fondées sur les besoins réels.

Si aucune action n’est prise, la pandémie va creuser l’écart de pauvreté entre les hommes et les femmes d’ici 2030. Les progrès durement acquis pourraient être anéantis par la crise sanitaire si des programmes qui intègrent la dimension genre ne sont pas adoptés. Il est donc important de placer les femmes au centre des mesures sanitaires visant à prévenir et à lutter contre les pandémies.

Le Covid-19 nous donne l’opportunité de revoir et de redéfinir nos politiques de santé à la lumière des enseignements de cette crise en renforçant la contribution des femmes. Elles devraient être impliquées au plus haut niveau lors de la formulation de ces nouvelles politiques de santé et de la prise de décision. La prise en compte de leurs préoccupations et l’identification de mécanismes est indispensable pour atténuer les impacts spécifiques sur les femmes.

– Pour un changement d’approche –

Une nouvelle approche est nécessaire. Elle passe par une volonté individuelle et politique ainsi que par l’implication du secteur privé. Il devrait y avoir des politiques de santé avant et après le Covid-19.

Le volet sanitaire doit être complété par des mesures visant réduire la vulnérabilité financière des femmes. Parmi ces mesures, le soutien des secteurs de l’économie dans lesquelles les femmes évoluent et l’accompagnement de l’économie informelle sont essentiels.

Le renforcement de la résilience économique des femmes passe également par le mentorat des petites et moyennes entreprises dirigées par les femmes, par la facilitation des prêts à taux réduits et par des mesures d’incitation fiscale.

Face à cette pandémie sans précédent, les pays africains ont la formidable opportunité de repenser leurs politiques de développement, de procéder à une redéfinition des objectifs et des moyens pour y parvenir. Nous devons réfléchir sur une politique économique post-Covid qui met l’humain au centre de ses préoccupations. Les hommes, les femmes, les jeunes, le gouvernement, les secteurs privé et informel, les ruraux et les citadins, tous doivent contribuer à l’élaboration de cette nouvelle politique qui devra être solidaire et inclusive

Cette politique passe par le renforcement de notre autonomie pour la satisfaction de certains besoins fondamentaux. Plus que jamais, la nécessité de compter sur nos propres forces pour la production de notre alimentation et pour la maîtrise de notre système sanitaire notamment les médicaments essentiels et le matériel médical. Pour y parvenir, la transformation de nos produits agricoles, halieutiques, d’élevage et miniers est une condition sine qua non. Les nombreux discours et engagements sur cette question ont été, à ce jour, très peu suivis d’actions concrètes.

Au vu des conséquences dramatiques du changement climatique sur nos économies, la protection de notre environnement est l’une des questions qui doit être inscrite au titre des priorités de cette nouvelle vision.

Le numérique s’est imposé comme incontournable durant cette pandémie. Le Covid 19 a eu des répercussions inégales sur les travailleurs et les entreprises. Certains secteurs se prêtent moins au télétravail soit par leur nature soit par manque personnel ayant une bonne maîtrise de l’outil informatique. Seules les sociétés connectées et dotées d’infrastructures et de technologies numériques ont pu continuer à opérer sans trop de dommages. La pandémie a accentué le problème de la fracture numérique. Sans une technologie numérique de pointe, les défis liés au développement et à la croissance économique ne pourront être relevés. Cet élément doit être intégré dans toute nouvelle politique de développement.

Cette pandémie a révélé l’immense potentiel de créativité des Sénégalais, prouvant à suffisance qu’elle ne demande qu’à être stimulée pour éclore. Le potentiel d’innovation des Sénégalais dans les domaines artistique, sanitaire, économique et industriel est immense. L’État a le devoir, par la création d’un environnement favorable à l’innovation et l’esprit d’entreprise, de faire révéler l’ingéniosité, le génie créateur et salvateur présent dans l’imaginaire des citoyens.

Une redéfinition de notre coopération basée un partenariat réellement « gagnant-gagnant » en misant davantage sur nos propres ressources que sur l’assistance étrangère.

L’augmentation des budgets relatifs à la santé, l’éducation, les affaires sociales, l’agriculture et l’infrastructure numérique contribuerait au renforcement de la résilience des populations.

Paradoxalement, cette tragédie que constitue le Covid-19, est une incroyable opportunité à saisir par nos gouvernants pour revisiter notre trajectoire de développement, lui donner une nouvelle direction qui permettrait l’avènement d’une société prospère, solidaire, équitable, inclusive et respectueuse de son environnement.

Adrienne Diop est une journaliste qui a fait ses gammes à la RTS et au magazine Démocratie locale entre autres. Docteure en Sciences de l’information, elle a enseigné au Cesti et à l’IFP Dakar avant d’être nommée ambassadrice du Sénégal en Malaisie entre 2015 et 2018.

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