SOLITUDE, DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES, TRAVERSÉE PÉRILLEUSE DE L’ATLANTIQUE: La triste mine des femmes victimes de la migration irrégulière

Les femmes souffrent des conséquences de l’immigration irrégulière. Dans les foyers, elles subissent la perte d’un être cher mort pendant la traversée de l’Atlantique. Pis ces dernières années, elles prennent des embarcations de fortune pour rejoindre les côtes espagnoles au péril de leur vie.

L’avancée de la mer dans les zones côtières au Sénégal est une réalité. A Bargny, la population l’a subi de plein fouet. Beaucoup ont perdu leurs maisons et vivent dans une promiscuité totale.  Au moment où cette érosion côtière, entraîne une perte des revenus spécialement tirée à la pêche, l’immigration est devenue un moyen de subsistance et de survie. Elle va avec son corollaire de conséquences. Les belles maisons construites par les immigrés, les autres réalisations synonymes d’une réussite sociale au Sénégal,  se mesurent au drame causé par ces départs vers des cieux beaucoup plus cléments. Ces dernières années beaucoup de jeunes sénégalaises et même des non sénégalaises ont tenté l’aventure. Rejoindre les côtes espagnoles à bord de petites embarcations surchargées et laissées  à la merci de la mer. Si certains sont arrivés en Espagne, d’autres sont engloutis par l’océan. Les rescapés sont traumatisés. Les femmes dont les proches sont décédés ont basculé dans une vulnérabilité économique notoire. Dans la matinée du 12 juillet, au moment où certains dakarois dorment encore, Bargny Geth s’est réveillé avec le bruit des fortes vagues.  La ville fait partie des zones touchées par l’avancée de la mer. Les maisons ne sont qu’à quelques pas de la grande bleue. Brisées par les vagues, la plupart d’entre elles, ne sont que des amas de briques rongés par l’avancée de la mer.  Les toilettes y sont un luxe. L’humidité est un compagnon quotidien des habitants. Cette situation mêlée à la rareté de la ressource halieutique a poussé les populations , en majorité pêcheur, à tenter la route migratoire. Bargny est connue pour son rôle dans l’immigration clandestine. Elle est une zone de départ. Peu après 10 heures du matin, les bambins, pieds nus, jouent déjà dans les ruelles humides et exiguës. Le petit espace qui sépare la mer des maisons est rempli de déchets.  On retrouve, le directeur exécutif de l’ONG solidarité, Soutoura Cheikh Fadel Wade.  Les conséquences de la migration irrégulière, il en est conscient. « Ces cinq dernières années, on a vécu d’atroces drames. Des jeunes qui sont restés en mer. La dernière en date est la pirogue Wadéne ( nom de la famille du propriétaire) qui avait à son bord plus de 200 personnes dont 70 viennent de la localité et jusqu’à présent ça fait 6 mois qu’on a aucune nouvelle de l’embarcation ». A Bargny, la vie n’est pas aussi très plaisante. Les femmes laissées dans les maisons délabrées, par des hommes partis chercher du profit loin de ce tohu-bohu, ressentent durement les effets des changements climatiques, mais aussi des départs massifs des jeunes hommes et femmes.  Des mères et des épouses éplorées noient leur chagrin derrière les voiles qui couvrent leurs têtes. « Des mamans sont dans le désarroi. Parfois quand on les rencontre, on a même honte parce qu’elles vivent une souffrance palpable. Elles ont perdu les bras valides de leurs foyers, des jeunes hommes ou des maris », s’émeut Fadel Wade.

L’impossible deuil

Alors que les retours de piroguiers avec de grosses prises de poissons, tendent à disparaître du décor de Bargny, les femmes de la localité en majorité transformatrice de poissons se cherchent. Le regard perdu au milieu de flots mouvants, on attend à la berge le retour hypothétique du mari ou de ce frère qui avait pour rêve de sortir la famille de la précarité.  La perte d’un être cher plonge également les femmes dans la souffrance. Ndèye, une candidate  de la migration irrégulière a l’air d’avoir fait le deuil de son fils et de son frère morts en une seule nuit. Lors du chavirement de leur embarcation.  Pourtant ce n’est pas le cas, il suffit juste qu’on parle de l’accident, pour l’a replonger dans des   souvenirs douloureux ; elle refuse toute discussion sur le sujet. Des concessions qui jadis accueillait de grandes familles sont réduites à des pièces qui résistent encore à la  furie des vagues. A Bargny, à cause de l’avancée de la mer, les familles peu nanties s’entassent dans les chambres. La grande partie des concessions étant emportée. Une partie des maisons est réduite à des souvenirs enfouis dans l’eau. A côté du mal vivre, des épouses éplorées ne se remettent pas du drame de la migration irrégulière.  «Il y a des épouses non résignées, qui n’arrivent toujours pas à croire que leurs conjoints sont morts, tentant de rejoindre l’Europe à travers les embarcations de fortune, même si le décès est connu de tous. Elles refusent de quitter le domicile conjugal»,  nous dit Ndèye Yacine Dieng, un acteur de développement communautaire.  Les jeunes qui ont réussi à rejoindre les côtes espagnoles et qui ont trouvé du travail font rêver. De plus, la pêche ne nourrit plus son homme. La communauté s’est reconvertie dans la migration irrégulière. Ce sont les familles qui organisent les départs. Ce qui justifie la forte présence des femmes, explique Cheikh Fadel Wade. Dernièrement, les communautés se sont transformées en passeur. « Souvent, la famille en charge de la pirogue demande à chaque parent le nom d’une personne à convoyer. C’est ce qui explique la présence massive des filles. On a commencé à amener les femmes même celles qui sont enceintes ou avec des bébés. La présence des personnes connues dans l’embarcation réconforte les femmes. C’est ce qui s’est passé à Bargny. Trois pirogues ont eu des accidents en mer, le bilan est lourd ». Bargny Geth n’est pas la seule zone côtière touchée par la migration irrégulière.   Selon une étude, du comité sénégalais des droits de l’homme (CSDH) et  de la fondation Heinrich Boll Stiftung, nommée «  visages féminins de la migration irrégulière », publié en août 2021, « Il existe un profil varié des candidates à l’émigration irrégulière. De jeunes sénégalaises, de niveaux scolaires relativement bas et venant d’horizons divers, s’adonnent à la migration irrégulière (19ans-43ans). La plupart d’entre elles étaient des commerçantes, femmes de ménage ou sans emploi. Mais aujourd’hui, elles s’activent principalement dans le commerce ». 

L’Espagne au péril de la vie

Au quartier Tefesse de Mbour, à 91 km de Dakar, une pirogue en partance pour l’Espagne a chaviré le 9 septembre peu de temps après son départ.  La famille de Daba Diop pleure la perte de leur fille disparue dans le naufrage de l’embarcation. A la recherche d’une vie meilleure, elle n’a pas survécu à sa tentative de rejoindre l’Espagne. Au cours de ce même mois de septembre, une pirogue en  dérive a été retrouvée à Yoff. Elle avait à son bord 30 corps. L’embarcation partie de Mbour plusieurs jours plutôt, avait à son bord plus d’une centaine de candidats à l’immigration irrégulière. Maman est l’un des disparus. La jeune femme de 25 ans a laissé dernière elle, une famille éplorée et un garçon de 25 ans.  A Gandiole, dans le nord du Sénégal, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2023,  une pirogue en partance pour l’Espagne  a chaviré faisant de nombreuses victimes dont des femmes dont des jeunes filles.  Une famille dans cette localité est sans nouvelle depuis le 19 mai 2024, d’une jeune diplômée (licence). Elle tentait de rejoindre l’Espagne. La jeune fille de 22 ans travaillait pourtant dans une organisation non gouvernementale qui lutte contre la migration irrégulière.  A signaler que ces dernières années, les départs à partir du Sénégal se sont accrus. Les données officielles estiment à près de 12 833 le nombre de migrants arrivés en Espagne en 2023. Parmi ces migrants, 9 319 se réclament de la nationalité sénégalaise. Mieux entre janvier et juin 2024, 294 embarcations sont arrivées aux îles Canaries avec 19260 migrants irréguliers.

En 2000, 49,4% des migrants sénégalais étaient des femmes. 20 ans plus tard soit en 2020, cette proportion était tombée à 48,1 %, ce qui indique un écart croissant entre les sexes dans la migration. Les jeunes femmes, notamment âgées entre 15 et 29 ans, ont un taux de migration plus élevé que les jeunes hommes.  La ratio s’établit comme suit : Chez les 15-19 ans il  y a 9,6% de femmes  contre hommes à 8,2 % . Pour la tranche d’âge 20-24 ans, les femmes sont à 11,6 %, les hommes par contre s’estiment à 10,1 %. Enfin, pour ceux âgés entre 25-29 ans, les femmes sont à 12% contre 11,3 % d’hommes. (Organisation internationale pour les migrations, 2019 et 2024). Historiquement, les femmes sénégalaise ont émigré principalement pour le regroupement familial ou poursuivre leurs études. Ces dernières années, les Sénégalaises partent en occident de manière indépendante pour bénéficier d’opportunités économiques. Elles contribuent désormais de manière importante à l’économie de leur famille, participant souvent au secteur informel des pays d’accueil. Les femmes migrantes sont particulièrement exposées à l’exploitation, notamment à la traite des êtres humains, au travail forcé et à la violence sexiste.

Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophon.

F NDIAYE

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *