Société : L’enseignement privé atterré par la Covid-19

A l’instar des autres secteurs de la vie, l’enseignement privé du Sénégal est rudement touché par la crise liée à la pandémie de Covid-19. La tension est notée partout, entre employeurs et employés, entre propriétaires d’établissements et parents d’élèves…

Moussa Diao a repris service. Il continue de faire ce qu’il sait faire pour survivre, c’est-à-dire enseigner. En ce jeudi matin du mois de janvier 2021, cet éducateur de 35 ans s’efforce à tenir une classe de CM1 (Cours moyen, première année) au Groupe scolaire MD des Parcelles assainies, situé dans la commune de Golf Sud (département de Guédiawaye, région de Dakar). La mine correcte, une fiche préparatoire à la main, Monsieur Diao explique la leçon du jour, mais pas avec la passion d’enseigner qui l’habitait avant. «Je n’ai pas le même état d’esprit, beaucoup de choses ont changé», avoue-t-il. «C’est très difficile pour un père de famille que je suis. Je dois payer le loyer, la nourriture… Cette crise s’est même répercutée sur mon ménage. Il y a eu plus de tension à la maison, surtout avec madame qui était enceinte et puis qui a donné naissance à des jumeaux (un garçon et une fille)», révèle-t-il. Cet originaire de Kolda se morfond aujourd’hui dans son accoutrement moderne, différent de celui des instituteurs des années eighties.

«On m’a licencié le 13 juillet, mes jumeaux sont nés le 13 septembre»

Diao est plein d’amertume. Il a le cœur qui saigne presque, quand il parle de sa situation actuelle. Son enthousiasme d’enseigner ne peut cacher un mal-vivre profond chez lui. «Ce qui m’a fait le plus mal, c’est mon licenciement dans une école où j’ai servi pendant presque 10 ans», lâche-t-il.

Sa situation a complètement basculé à cause de la crise provoquée par la pandémie du nouveau coronavirus. Moussa Diao est l’un de ces millions de personnes, à travers le monde, que la Covid-19 a durement affectées. Le nouveau rapport l’Organisation Internationale du Travail (OIT), publié lundi 25 janvier dernier, indique que pas moins de 255 millions d’emplois sont perdus en 2020. Le rapport indique que plus de 70% de ces pertes d’emplois, soit 81 millions de personnes, sont attribuées à l’inactivité plutôt qu’au chômage. Ce qui signifie que ces personnes ont quitté le marché du travail parce qu’elles n’étaient pas en mesure de travailler, peut-être en raison des mesures de restrictions liées à la pandémie de Covid-19 ou, tout simplement, parce qu’elles ont cessé de chercher du travail.

M. Diao a été remercié par son employeur, après avoir passé 9 ans au Groupe scolaire Xaley Guentaba implanté à la cité Fadia. Le virus a frappé lorsque l’Etat a décidé de faire reprendre les cours, après des semaines de semi-confinement, pour les classes d’examen. L’objectif était de sauver une année scolaire déjà compromise par la grave crise qui a fini de bouleverser la planète entière. M. Diao et certains de ses collègues avaient décidé de déserter les classes parce qu’étant «restés sans salaire». «Nous avions exigé le paiement des salaires d’abord, comme notre employeur nous l’avait promis». Face à cette situation, les dirigeants de l’établissement ont fait venir un huissier de justice pour faire constater la situation. L’employeur leur a également adressé une demande d’explication suite au refus d’une partie de son personnel d’enseigner. Ils ont refusé de répondre à la demande. Alors, la tension est montée de plusieurs crans. L’équipe dirigeante a été alors obligée de recruter d’autres enseignants pour les remplacer à cette période même, c’est-à-dire en juin. «Ils ont abandonné les élèves. La direction a dû recruter d’autres pour ne pas laisser les enfants dans les rues», fait savoir une source proche de l’employeur. «On avait même repris les enseignements pendant deux jours mais nous avions dû arrêter parce que nous n’avions pas vu les promesses», informe Moussa Diao.

Effectivement, la direction avait promis de tout régulariser. Le paiement devait être effectif à partir du 5 juillet, après avoir effectué le recouvrement des mensualités, renseigne-t-on. «En réalité, c’était un mois d’arriéré de salaires», précise un des dirigeants. La crise persistante, elle a servi des lettres de licenciement. «On m’a licencié le 13 juillet dernier, mes jumeaux sont nés le 13 septembre. Vous voyez donc, il y a eu juste deux mois d’intervalle ! Cette année, le 13… ‘moy lolou daal’», exprime-t-il. Diao est partagé entre l’amertume d’une perte d’emploi et la joie d’accueillir des jumeaux dans sa famille, qu’il doit prendre en charge. «Sur le plan salaire, je gagne beaucoup moins que dans mon ancien établissement La crise», fait-il remarquer avant d’ajouter : «L’enseignant du privé au Sénégal n’est pas payé à sa juste valeur. Les propriétaires d’écoles privées ne sont pas sérieux».

«Les écoles privées ne parviennent pas à subvenir aux besoins primaires»

La rupture est consommée avec Xaley Guentaba. Diao est dans une autre école. La bataille est désormais transférée devant les juridictions. «On a saisi l’Inspection du travail qui a convoqué toutes les deux parties en conflit, en juillet dernier. L’inspecteur n’a pas donné raison aux patrons. Il leur a demandé de nous réintégrer dans les plus brefs délais mais ils ont refusé. Nous étions dans nos droits. Il nous a donné une requête que nous avons déposée au tribunal», informe M. Diao. Deux audiences ont été reportées. Ils sont dans l’attente d’une troisième convocation. Ils ont laissé les choses entre les mains de leur syndicat, le Sudes (Syndicat unique et démocratique des enseignants du Sénégal).

La procédure suit sont cours pour ce père de famille de trois enfants et certains de ses ex collègues. Ils étaient au nombre de huit dans cette bataille, si l’on prend en compte ceux de l’établissement d’enseignement moyen et secondaire «La Maïeutique» qui appartient aux mêmes investisseurs. D’autres ont été plus chanceux dans cette crise. Ils ont vu la leur stoppée. Ils sont deux. «À La Maïeutique, on a dû procéder à des chômages techniques». Au total, le groupe a remercié deux enseignants du primaire, trois surveillants de l’établissement du moyen et secondaire et un vigile, renseigne une source. «Les écoles ont été confrontées à des difficultés de recouvrement des mensualités depuis mars. Elles ne parviennent pas à subvenir aux besoins primaires», explique M. Diaw, professeur vacataire à La Maïeutique. Mais leur école à pu régulariser tout le monde. Entre avril-mai et juin, on a payé 50% des salaires. À partir de juillet, ceux qui ont repris ont reçu 100% de leurs émoluments. Actuellement, il n’y a pas un seul enseignant à qui ont doit de l’argent. Depuis le 5 juillet, tous les salaires sont payés intégralement», affirme-t-on.

«Baisse des effectifs, difficulté de recouvrement»

Cette crise n’a presque épargné aucune école privée du Sénégal. Le Groupe scolaire Parcelles Excellence a pu résister, sur le plan social. Il n’est pas arrivé à se séparer de son personnel. «On n’a même pas 200 élèves mais on est parvenu à payer les salaires. À l’ouverture des classes de novembre, on a remis 20 mille à chaque enseignant. C’est une somme tirée de la subvention allouée par l’Etat», soutient le déclarant responsable, Mame Mbaye Gaye. Il a pu payer le loyer (l’école loue un bâtiment pour abriter ses locaux). Selon les chiffres avancés, l’Etat a subventionné à hauteur de 19 mille F Cfa par enseignant et 600 F Cfa par élève pour la première tranche. Pour la seconde, c’est 17 mille F Cfa par enseignant et 400 F Cfa par élève. Tout provient du fonds Force Covid-19.

Les frictions sont notées avec les parents d’élèves. «On n’a pas réclamé le paiement des autres mois. On a étalé le paiement de mars mais il y a toujours cette difficulté de recouvrement. Il n’y que deux parents d’élèves qui ont payé le mois de mars», regrette-il. «Certains parents d’élèves sont mal informés. Ils ont même dit que le ministre de l’Education (Mamadou Talla, ndlr) avait dit qu’ils ne devraient pas payer. Tout récemment, je me suis chamaillé avec un d’entre eux. À un moment, on n’hésitera pas à renvoyer les élèves reliquataires», avertit-il. C’est le même mode de management qu’à Xaley Guentaba et à la Maïeutique qui n’ont pas demandé à ce que les parents payent les mois Covid. Seuls les élèves en classe d’examen ont continué à passer à la caisse.

Parcelles Excellence a également était touché comme Xaley Guentaba qui a vu 18,5% de son effectif partir. «La pandémie nous a fait perdre des élèves, c’est surtout ceux qui ont des reliquats à la comptabilité», souligne M. Gaye.

«Les questions pédagogiques ne sont pas prises en charges par la DEP»

La crise née de la pandémie du coronavirus a révélé le drame social qui existe dans l’enseignement privé laïc. Les difficultés se sont, en effet, accentuées. De nombreux établissement se sont effondrés. «Le problème, c’est qu’il y a une multitude d’écoles privées. Dans le département de Guédiawaye, il y a plus d’établissements privés que d’écoles publiques, renseigne M. Diaw, acteur de l’éducation. À cela, s’ajoute la faiblesse de la subvention allouée par l’Etat du Sénégal. Il aurait dû prendre en charge certains enseignants du privé».

Les employés dénoncent l’attitude de nombreux bailleurs qui ne respectent pas la convention collective qui fixe le barème des salaires et d’autres avantages. Dans ce cadre, l’inspection du travail a reçu énormément de plaintes d’enseignants ou de collectifs d’enseignants.

L’Etat n’assume pas toute sa responsabilité dans l’éducation des enfants du pays. Il suffit d’avoir son autorisation d’enseigner pour intégrer le privé. Il suffit également de faire sa déclaration d’intention d’ouvrir une école. Il y a une sorte de laisser-aller. Les Inspections de l’éducation et de la Formation (IEF) et les Inspections d’académie (IA) tentent bien que mal de contrôler et d’encadrer ces écoles. «La formation des enseignants n’est pas encadrée, le cadre d’apprentissage n’est parfois pas indiqué, il est exigu. Les questions pédagogiques ne sont pas prises en charges par la Direction de l’enseignement privé (DEP)», note M. Diaw, professeur de Physique et Chimie. «Il faut que l’Etat mette en place une structure de surveillance pour qu’elle veille sur le fonctionnement de ces établissements d’enseignement», suggère Moussa Diao comme solution.

Des efforts sont faits, certes, avec des subventions accordées annuellement à des écoles (surtout celles reconnues) mais il reste beaucoup à faire pour rendre le privé laïc plus performant et améliorer les conditions sociales des travailleurs.

L’enseignement privé laïc était jusque-là blessé. Mais depuis la crise née de la Covid-19, il s’est quasiment écroulé. Les relations entre employés et patrons ont connu une autre tournure. Les tentions ont parfois tout près de l’affrontement frontal. Les revendications sont très nombreuses dans ce secteur du privé comme dans le public. Elles augurent un lendemain incertain avec de combats incessants entre employé et employeurs.

LeMandat

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