À quelques kilomètres de Dakar, la capitale du Sénégal, l’avancée de la mer contraint les habitants de Bargny Geth à vivre dans des conditions difficiles et indignes. Leurs maisons, autrefois spacieuses, se sont effondrées, les laissant entassés dans les maisons restantes et dépourvus d’installations sanitaires de base. Cette crise a engendré des problèmes d’hygiène, d’assainissement et de sécurité pour les femmes. Les maisons, autrefois vastes et dotées de plusieurs chambres, ne sont plus que des vestiges de murs où croupissent les malheureux habitants qui n’ont pas les moyens de se loger ailleurs, à l’abri des vagues menaçantes.
En ce dimanche matin glacial de décembre 2024, alors que la majeure partie de Dakar dort, les habitants de Bargny Geth sont réveillés, affrontant les vagues incessantes qui ont remodelé leur vie. La mer a englouti des maisons, des espaces de loisirs et même des cimetières, les réduisant à de simples souvenirs. Parmi les pertes, on compte les toilettes des ménages, que de nombreuses familles n’ont plus les moyens de reconstruire. Désormais jonchée de déchets plastiques et de matières fécales, la plage est devenue une toilette à ciel ouvert.
La mer emporte tout sur son passage, et les toilettes ne font pas exception. Certaines parties de la plage sont recouvertes de tas d’excréments, ce qui indique que les habitants font leurs besoins dans la mer.
« Beaucoup de gens attendent la tombée de la nuit pour sortir en mer. D’autres ont des pots de chambre. Ils font leurs besoins là, en attendant la tombée de la nuit, avant de tout jeter à la mer », explique Ndèye Yacine Dieng, un agent de développement communautaire.
La maison de Dieng est l’une des rares du quartier à disposer de toilettes de fortune, même si elles sont loin d’être idéales. Ces toilettes sont partagées par 20 familles, qui défient les regards des membres de sa famille, qui savent sans doute que la seule raison de la visite des voisins est l’utilisation des toilettes. Les toilettes de la mosquée locale (une dizaine) servent également à ceux qui ne peuvent attendre la tombée de la nuit pour se soulager sur la plage.
Pour ceux qui n’ont pas accès à des toilettes, l’enfouissement des matières fécales le matin est devenu une routine. « C’est incompatible avec le développement humain », affirme M. Dieng, qui plaide en faveur de toilettes publiques de fortune pour redonner un peu de dignité à la communauté. « L’accès aux toilettes est un droit », souligne-t-elle.
Un document de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) indique que plus de la moitié (60 %) de la population sénégalaise vit le long du littoral de plus de 700 kilomètres qui traverse les six unités administratives de Saint-Louis, Louga, Thiès, Dakar, Fatick et Ziguinchor. Ces habitants risquent d’être déplacés en raison de l’élévation du niveau de la mer. Un rapport de la Banque mondiale sur les migrations internes dues au changement climatique prévoit qu’entre 41 000 et 206 000 personnes pourraient être contraintes de quitter la ceinture côtière du Sénégal d’ici 2050 en raison de l’élévation du niveau de la mer. À Bargny Geth, les familles déplacées par la mer sont obligées de partager des logements exigus, jusqu’à dix personnes vivant dans une seule pièce.
« La mer avance depuis longtemps, et chaque année elle s’aggrave. Chaque année, la mer engloutit des centaines de maisons le long de la côte. Les familles qui ont les moyens de déménager et celles qui ne le peuvent pas sont obligées de vivre à proximité les unes des autres. Dans cette région, certaines familles vivent avec 10 personnes par pièce. La situation est catastrophique. Nous avons des problèmes d’hygiène », déclare Médoune Ndoye, un jeune activiste et écologiste, déplorant l’absence de toilettes.
Au Sénégal, la loi n° 83-71 du 5 juillet 1983 portant code de l’hygiène interdit le mélange des matières fécales ou urinaires avec les ordures ménagères. Pourtant, à Bargny Geth, les dispositions légales restent éloignées de la réalité quotidienne. Des toilettes publiques et des installations communes sont nécessaires de toute urgence pour atténuer les problèmes de santé et de dignité auxquels sont confrontés les habitants.
Sur une plage sale et pleine de déchets plastiques, Seyni Fall montre du doigt l’endroit où se trouvaient les toilettes de sa famille. Il ne reste qu’un pan de mur qui est lui aussi sur le point de s’effondrer.
« Vous pouvez voir ce qu’il y a derrière moi, ce sont les toilettes. Nous avons dû nous débarrasser des toilettes parce que les vagues ont tout détruit. Les murs se sont fissurés et il est risqué de les utiliser », déplore-t-il.
La famille de Fall, comme beaucoup d’autres, compte sur la générosité des voisins qui ont encore des toilettes fonctionnelles, épargnées par l’avancée de la mer ou construites sur la place publique. L’alternative est d’attendre la tombée de la nuit, quand tout le monde est vraisemblablement endormi, pour se soulager à l’extérieur.
Selon le rapport national sur le climat et le développement du Sénégal, publié par la Banque mondiale en novembre 2024, les effets du changement climatique s’accélèrent. Le niveau des mers le long des côtes sénégalaises augmente de 3 à 4 millimètres par an, et ce rythme devrait doubler ou tripler, atteignant 18 centimètres d’ici 2030 et 60 centimètres d’ici 2050, par rapport au niveau de l’année 2000. Dans le pire des cas, le niveau des mers pourrait augmenter de plus d’un mètre d’ici à 2100.
Ces conclusions sont similaires à celles d’un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies publié en 2019, selon lequel le niveau de la mer augmente de 3 à 4 millimètres par an sur la côte ouest-africaine et devrait s’aggraver en raison de la hausse des températures, de l’augmentation de la variabilité climatique et des événements extrêmes.
La côte sénégalaise est de plus en plus menacée non seulement par le développement incontrôlé du littoral mais aussi par le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer (de l’ordre de 1,5 mm par an) qu’il entraîne.
Un quart de la côte est actuellement exposé à l’érosion et la moitié aux ondes de tempête. Selon l’étude, « les villes de Dakar et de Saint-Louis sont particulièrement vulnérables aux inondations dues à l’élévation du niveau de la mer. Le Sénégal est particulièrement vulnérable à une intensification du changement climatique en raison de son littoral exposé ». Le Sénégal est classé 144e sur 185 pays sur la base de l’indice Notre Dame Global Adaptation Index (ND-GAIN), utilisé pour examiner les facteurs de vulnérabilité climatique.
Ces événements ont un effet sur l’accès à l’assainissement des communautés côtières, comme celles de Bargny Geth. Une enquête réalisée en 2019 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) a révélé que 12,5 % des ménages sénégalais pratiquent la défécation à l’air libre, les zones urbaines s’en tirant généralement mieux. Toutefois, l’érosion côtière et la surpopulation à Bargny Geth ont compromis ces progrès, exposant la communauté à des crises d’hygiène et de santé publique de plus en plus graves.
« Un peu plus d’un quart des ménages ne disposent pas de toilettes améliorées (29,9 %), dont environ 12,5 % pratiquent la défécation à l’air libre. La plupart des ménages utilisent des toilettes améliorées. Il s’agit généralement de toilettes à chasse d’eau ou à chasse d’eau manuelle reliées à une fosse septique (43,7%). »
Selon la même étude, « en milieu urbain, les ménages utilisent généralement des toilettes améliorées, qui sont essentiellement des toilettes à chasse mécanique ou manuelle reliées à une fosse septique (60,0 %) ou à un système d’égouts (17,6 %). Un tiers des ménages (33%) partagent les toilettes ». En général, cette pratique est légèrement plus fréquente dans les ménages utilisant des latrines à fosse avec dalle (37%) ou des toilettes à chasse manuelle ou mécanique reliées au réseau d’égouts (34%) ou des latrines améliorées ventilées (33%). Ce manque d’hygiène risque de s’aggraver.
Malgré ces circonstances peu réjouissantes, les habitants trouvent des moyens de faire face à la situation. Les femmes, qui subissent de plein fouet la crise de l’assainissement, font preuve d’une résilience remarquable. Pourtant, comme le soulignent Dieng et d’autres activistes, la résilience ne suffit pas à résoudre les problèmes systémiques. La situation critique de la communauté souligne le besoin urgent d’une intervention gouvernementale et internationale.
« Ici, c’est la mer qui dicte les règles », déclare M. Dieng. « Mais nous ne pouvons pas la laisser nous dicter notre dignité.
L’histoire de Bargny Geth nous rappelle brutalement le coût humain du changement climatique et de l’insuffisance des infrastructures. Des mesures immédiates, telles que l’installation de toilettes publiques de fortune, la mise en place de défenses côtières et la réinstallation des familles à risque, sont essentielles. Sans ces interventions, l’avancée de la mer continuera à éroder non seulement les terres, mais aussi les droits fondamentaux et la dignité des communautés côtières du Sénégal.
Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophon.
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