L’homosexualité:  » Ils ont bouleversé l’ordre naturel » ( Par le magistrat Mamadou Yakham Keïta)

Ils ont bouleversé l’ordre naturel. Voilà ce que ressentent des millions de personnes face à l’essor planétaire d’une revendication jadis marginale : celle de l’homosexualité. Dans des sociétés comme la nôtre, profondément attachées à l’équilibre entre spiritualité, tradition et ordre social, ce bouleversement provoque une sidération mêlée de résistance.
 Beaucoup y voient une rupture imposée, une subversion des repères moraux, culturels et religieux. Et ils ne sont pas seuls. Même en Occident, là où les droits des personnes LGBTQ+ semblent progresser sans retour, les choses sont loin d’être unanimes.
 Donald Trump, président des États-Unis entre 2017 et 2021, a catégoriquement refusé que les ambassades américaines arborent le drapeau arc-en-ciel pendant son mandat. Vladimir Poutine, en Russie, a bâti tout un récit de résistance contre ce qu’il appelle la « décadence occidentale », en opposant à cette vision les « valeurs familiales traditionnelles ».
 En Hongrie, Pologne, Italie ou même dans certaines régions de France, des mouvements puissants s’élèvent contre ce qu’ils considèrent comme une normalisation forcée, une idéologie imposée.
Il est donc parfaitement compréhensible que la société sénégalaise, dans son immense majorité, continue d’abhorrer l’homosexualité, et que certains réclament sa criminalisation explicite. Cela ne procède pas nécessairement d’un fanatisme. C’est, pour beaucoup, une volonté de préserver une certaine idée de l’humanité, du lien social et des fondements spirituels de la nation. Les différentes initiatives parlementaires, les prises de parole politiques ou les pétitions populaires doivent être comprises dans cette logique.Mais toute criminalisation appelle une rigueur juridique. Et cette rigueur commence par une définition.

Aujourd’hui, le Code pénal sénégalais ne fait pas référence au terme « homosexualité ». L’article 319 réprime les actes qualifiés d’« impudiques ou contre nature avec un individu de son sexe ».
 Cette expression, floue et héritée d’un vieux droit colonial, renvoie tantôt aux rapports sexuels entre personnes de même sexe, tantôt à des pratiques considérées comme bestiales. Elle n’est ni juridiquement précise, ni culturellement suffisante à l’ère des débats identitaires modernes.
Or, qu’est-ce que l’homosexualité, au juste ?Est-ce un penchant affectif pour une personne de même sexe ?Est-ce un acte charnel précis ? Une manière de parler ? De s’habiller ? D’aimer ? De penser ?La justice, elle, a besoin de faits matériels, de critères objectifs, d’éléments constitutifs d’une infraction. Sans cela, on tombe dans l’arbitraire.Il est facile, certes, d’identifier un couple de même sexe qui s’embrasse ou s’affiche en public. Mais qu’en est-il des autres cas ? Combien d’adolescents, dans des contextes de curiosité, de promiscuité ou de simple jeu, s’essaient à des gestes sans intention homosexuelle ? Des études dans des pays musulmans comme l’Égypte, la Tunisie ou l’Indonésie ont montré que des attouchements entre garçons, dans certains internats ou cercles d’amis, ne relèvent ni d’une orientation ni d’une identité homosexuelle, mais plutôt de l’exploration ou du mimétisme.
Doit-on pour autant les jeter dans la nasse pénale ?Faut-il considérer comme homosexuel tout homme efféminé, tout homme qui cuisine ou qui danse dans les baptêmes, tout griot au ton doux ou coiffeur au verbe léger, tout comédien travesti, tout vendeur de cosmétiques au look soigné, tout jeune homme qui se maquille sur TikTok, tout chanteur sensible, tout styliste créatif, tout homme qui se parfume ou qui porte des bijoux ?Dans notre imaginaire collectif, le soupçon peut naître d’un détail. Et c’est là le piège.La loi pénale ne peut pas condamner des impressions.Certains objecteront qu’il est peut-être plus pertinent de viser l’apologie de l’homosexualité plutôt que l’homosexualité elle-même. Ce serait, à bien des égards, plus simple sur le plan juridique, car l’apologie (comme pour le terrorisme ou la haine raciale) suppose une expression publique, un acte volontaire de promotion ou de légitimation. Elle peut donc être définie, prouvée, poursuivie.
Mais criminaliser l’orientation elle-même, sans cadre clair, sans critère défini, c’est ouvrir la voie à toutes les dérives, à tous les abus, à toutes les persécutions sociales ou judiciaires.La volonté de préserver notre tissu social est légitime. Mais elle ne saurait justifier une législation bâclée, une répression vague ou une justice aveugle. Le Sénégal, pays de droit, de tolérance religieuse et d’équilibre social, ne peut pas se permettre une loi mal pensée.Il ne s’agit donc pas de défendre l’homosexualité, ni de l’approuver, encore moins de la promouvoir. Il s’agit de défendre la justice, c’est-à-dire la clarté du droit, la rigueur des définitions, la prudence face aux amalgames.Une nation digne ne se contente pas de punir. Elle commence par comprendre, puis elle définit, ensuite elle juge. C’est à cette condition qu’elle reste fidèle à ses valeurs et, qu’elle ne trahit pas son peuple au nom même de ce qu’elle prétend protéger.

Par Mamadou Yakham Keïta, juge au Pool Financier et Judiciaire, auteur de TEG TEGGI TEKKI

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *