New York, 3h du matin. Les néons du Bronx projettent leur lumière blafarde sur un modeste salon de coiffure ouvert 24h/24. À l’intérieur, des mains s’activent sans relâche : tresses, défrisages, mèches cousues à la chaîne. Parmi ces ombres fatiguées, Nafissatou, 25 ans, n’a pas fermé l’œil depuis près de 18 heures. Sa fille de trois ans dort sur une chaise enroulée dans une couverture de fortune. Le rêve américain ? Pour Nafissatou, il s’est transformé en un interminable cauchemar.
Traverser l’enfer pour atteindre l’illusion
Originaire de Guinée, Nafissatou a traversé le Brésil, la jungle du Darien au Nicaragua, puis le Mexique, bravant la faim, les violences, les frontières et les passeurs, avec sa fille accrochée à son dos. Comme tant d’autres femmes africaines, elle pensait trouver aux États-Unis un avenir digne pour elle et sa fille. Elle y a trouvé un autre type de violence : plus silencieuse, plus perverse. Une violence économique et psychologique déguisée en opportunité.
Salons de coiffure : entre faux refuge et vraie exploitation
» Ici, on ne dort jamais vraiment « , souffle Nafissatou. Le salon où elle travaille ne ferme jamais. Deux équipes se relaient nuit et jour sous la supervision de « cheffes » autoproclamées, souvent d’anciennes recrues ayant gravi les échelons par la force ou la flatterie. L’ambiance est délétère : soupçons, délations, trahisons. La solidarité féminine a laissé place à une lutte cruelle pour la survie.
Le mari de la patronne, personnage omniprésent, incarne la menace constante : humiliations, injures, abus de pouvoir. » Il nous parle comme à des chiens. Il aime nous voir nous écraser. Le pire, c’est que certaines collègues l’encouragent, juste pour rester dans ses bonnes grâces « , déplore Nafissatou.
Un système basé sur la peur et le silence
Dans cet univers clos, la peur est une monnaie courante. Peur d’être dénoncée, peur d’être remplacée, peur d’être expulsée. La majorité des femmes sont sans papiers ou en attente de régularisation. Ce statut précaire les rend vulnérables et les empêche de dénoncer quoi que ce soit. » Même celles qui ont des papiers préfèrent se taire pour ne pas perdre leur place ».
Le comble de cette tragédie : ce sont souvent d’autres femmes qui deviennent les complices involontaires de cette violence structurelle. Dans l’espoir d’un privilège ou d’une promotion, elles piétinent leurs sœurs.
Et si on reprenait le pouvoir ?
Mais jusqu’à quand ce silence ? Jusqu’à quand cette acceptation résignée ? Il est temps de parler. Il est temps de s’organiser, de dénoncer, de créer des espaces sûrs pour ces femmes. Des collectifs existent, des associations peuvent aider, mais encore faut-il briser l’isolement.
Il ne s’agit pas seulement d’un combat pour de meilleures conditions de travail. Il s’agit d’un combat pour la dignité, la sororité, la justice. Nafissatou et tant d’autres méritent plus que cette vie d’humiliation. Elles méritent qu’on écoute leurs histoires, qu’on éclaire leurs réalités, qu’on transforme leur lutte en espoir.
Paule Kadja TRAORE
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