Le prix de la paix

Yaay Dina Baax a commencé très tôt sa journée. D’abord arrosé généreusement le seuil de la porte d’entrée de la maison d’eau fraiche. Ensuite, guetter le passage de la première mendiante qui ne soit ni aveugle ni paraplégique pour lui remettre les deux noix de cola, une rouge et une blanche, qui ont séjourné toute la nuit, la nuit du jeudi au vendredi, sous son oreiller. Enfin, après la prière de jumaa faire l’aumône de trois fois sept de galettes de pate de riz sucré aux enfants.

Le marabout avait bien dit trois bols de laax à un nombre impair de fillettes et de garçons innocents. Mais à l’impossible nul n’est tenu. Le prix du mil, du sucre et du lait était un peu au dessus de ses maigres moyens. Même les galettes de riz constituait un sacrifice réel il faut dire. Mais rien ne vaut la paix, ce don du ciel que tous et chacun ont le devoir sacro saint de préserver.

Or, ce qu’elle avait appris de ses « clients » nocturnes du salon-souche ne la rassurait pas du tout. Goorgi revenait ! C’était une bonne nouvelle en soi. Elle aimait bien Goorgi, c’était son idole et elle avait été de tous les meetings et marche des temps de braise du Sopi. Elle était du groupe des « prieurs » du Mardi à la Zawia maam Maalik, elle avait manifesté chaque fois que Googi a été emprisonné. Elle a même, à sa manière, soutenu la grève de la faim de son héros au crane chauve. En l’an 2000, elle a marché jusqu’au Point E pour se joindre à la liesse du peuple du Sopi triomphant !

Bon, l’alternance n’a pas vraiment amélioré sa condition mais elle n’en portait pas moins son Goorgi dans son cœur. C’était comme ça ! Mais pour une fois, elle ne partageait franchement pas cette façon de faire de Goorgi. Qu’il revienne, pourquoi pas ? C’était un sénégalais et des plus illustres et, pour dire vrai, il manquait au pays. Cependant les attitudes belliqueuses que véhiculaient son discours guerrier ne la rassuraient point. Elle n’avait plus vingt ans Yaay Dina Bax. Elle n’avait plus ni la force ni la volonté d’affronter les G.M I et leur gaz lacrymogène.

D’ailleurs Goorgi non plus ne devait plus, dans son entendement, revenir à de telles pratiques. Pour elle Goorgi était devenu un sage notable, plein d’expérience et bien au dessus des contingences du quotidien. Il est du devoir de chaque père de veiller sur son enfant. Mais quand on a été Président, c’est-à-dire, pour Yaay Dina Baax, Père de la Nation –elle avait entendu Ndiool Juuf traduire littéralement cette expression- on ne fait plus de différence entre les fils de sang et les autres. Comme une bonne mère de jumeaux, il faut être également disponible pour chaque membre de la progéniture. Elle le voyait sur sa chaise longue entourée de disciples et recevant tout le monde, humbles et puissants, gouvernants et simples citoyens lamda. A tous il pourrait prodiguer des conseils utiles pour la marche du pays. Telle une aiguille, il aurait rapiécé les pans décousus du tissu social. Il aurait expliqué » aux plus jeunes pourquoi il est dangereux de jouer avec le feu.

Mais si les anciens se mettent à jouer aux pyromanes il n’y aura plus de sapeur pompier ! Nous n’avons que cette pirogue se disait-elle, il incombe à chacun de veiller à ce qu’elle arrive à bon port. Si elle chavire, personne n’en réchappera. Et puis seule la paix est souhaitable pour les démunis. Qui penserait à venir acheter des cornets de cacahuètes alors que sa vie est en danger. On ne doit pas s’amuser avec certaines choses. Penser envoyer des militants envahir le Palais, mêler l’armée ou la police à toutes ces histoires, c’est tenter le diable or Seytaane est seulement assoupi. Malheur à celui qui le réveillerait. Les histoires on sait comment ça commence nul ne peut prévoir leur ampleur et les dégâts qu’elles peuvent entrainer.

Ce pays n’a pas besoin de conflits. Nous avons certes des problèmes. Tout n’est pas rose et joindre les deux bouts est un exploit renouvelable chaque jour que Dieu fait. Mais nous avons au moins la paix. Cela vaut tout l’or du monde. Ne jouons pas avec. Si nous la perdons, à Dieu ne plaise, nous apprendrons très vite à nos dépens que c’est au moment de s’asseoir que l’on connaît la valeur des fesses. Pour elle, Yaay Dina Baax, l’heure est donc à la prière et aux offrandes pour que les uns et les autres sachent raison garder et que la maison Sénégal continue de vivre pacifiquement. Si le Tout Puissant exauce ses prières, In Cha’Allah, dina baax !

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