Le franc CFA, un “bouclier économique mal compris”, selon l’économiste Amath NDiaye

Dans une analyse approfondie, le Pr Amath Ndiaye, économiste à la FASEG-UCAD et ancien membre du Comité de Pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la création de la Banque Centrale Africaine (2010-2012), défend le franc CFA comme un « bouclier économique » souvent mal compris. Il met en lumière les avantages de ce système monétaire pour les pays de l’UEMOA, tout en plaidant pour une utilisation stratégique de cette stabilité pour amorcer une transformation économique.

Une souveraineté monétaire affirmée depuis 2019

Le Pr Ndiaye rappelle que, depuis la réforme de 2019, « la politique monétaire de l’UEMOA est formellement souveraine ». La France ne siège plus dans les organes de décision de la BCEAO et son rôle se limite à une « garantie de convertibilité » en cas de crise de liquidité en devises. Ainsi, la parité fixe du franc CFA avec l’euro « n’est plus imposée de l’extérieur, mais résulte d’un choix souverain des États membres de l’UEMOA ». Cette clarification vise à contrer les critiques récurrentes qui associent le franc CFA à un héritage colonial.

Un rempart contre les chocs extérieurs

L’expert défend la fixité du taux de change comme un « instrument de stabilité macroéconomique » face aux chocs externes, tels que la hausse des prix des matières premières ou l’appréciation du dollar. « En ces temps de volatilité mondiale, où l’instabilité des marchés financiers et des matières premières est devenue la norme, la zone CFA bénéficie d’une protection relative contre ces turbulences », explique-t-il. Le lien à l’euro joue un rôle stabilisateur, « limitant l’impact de ces chocs sur les prix intérieurs et la valeur de la monnaie locale ».

Ndiaye cite des chiffres éloquents : en 2023, la Côte d’Ivoire a enregistré une croissance de 6,5 %, contre 2,9 % pour le Nigeria et 3,1 % pour le Ghana. L’inflation dans la zone CFA reste modérée, souvent inférieure à 3 % en période normale, comparée à 38,1 % au Ghana, 24,5 % au Nigeria et plus de 100 % au Zimbabwe. Ces données illustrent, selon lui, « l’incapacité de certains régimes de change flottants à garantir la stabilité des prix et à préserver le pouvoir d’achat des populations ».

Les limites de la flexibilité pour les économies peu industrialisées

Le Pr Ndiaye nuance les critiques sur la fixité du taux de change, souvent perçue comme une contrainte. Dans le contexte des économies africaines « faiblement industrialisées », il argue que « la flexibilité des taux de change n’apporte pas les bénéfices escomptés ». Les dépréciations monétaires, loin de stimuler les exportations, « alourdissent la facture des importations, accroissent l’endettement en devises, et entretiennent une inflation persistante ». La structure des exportations, centrée sur les matières premières sans transformation, reste inchangée, aggravant la dépendance extérieure.

Un outil stratégique pour la souveraineté

Loin d’être un frein, le franc CFA est, selon Ndiaye, « un instrument de souveraineté maîtrisée » dans un monde instable. Il permet de « contenir l’inflation, d’attirer les investissements, de renforcer la crédibilité macroéconomique et de favoriser un environnement propice à la transformation structurelle ». L’expert insiste : « Le franc CFA, dans sa forme actuelle, peut parfaitement coexister avec des stratégies nationales ambitieuses pour l’industrialisation, l’emploi, et l’innovation ».

En conclusion, le Pr Ndiaye appelle à dépasser le débat sur la suppression du franc CFA pour se concentrer sur son utilisation comme « tremplin vers une plus grande autonomie productive ». « Tant que les économies africaines n’auront pas consolidé leur base industrielle et leur sécurité alimentaire, la stabilité monétaire restera un atout précieux », conclut-il, plaidant pour une approche pragmatique qui combine stabilité monétaire et transformation économique.

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