A la source du Nil en Ouganda, les pêcheurs, les usines, la pollution

A la source du Nil en Ouganda, sur le lac Victoria, des pêcheurs lancent leurs filets à deux pas des usines qui déversent leurs déchets dans le fleuve.

Ce jour-là, ce sont les employés d’une tannerie qui jettent leurs détritus dans le plus long fleuve d’Afrique, tandis que des tuyaux déversent les eaux usées de l’usine dans le Nil qui prend une couleur brunâtre.

Une scène banale dans cette région du sud-est de l’Ouganda, où « la pollution est une menace croissante pour les écosystèmes liés à l’eau dans le bassin du Nil », selon la Nile Basin Initiative (NBI).

Nous sommes à Jinja, à 80 km à l’est de la capitale Kampala, là où le Nil prend sa source avant de finir plus de 6.500 kilomètres plus loin dans la Méditerranée.

Sur les bords du fleuve à la végétation tropicale, de pauvres habitations jouxtent des entreprises de transformation de poissons, de fabrication de bateaux, de textile.

Les pêcheurs débarquent leurs maigres prises sous la fumée de cheminées d’usines. Ils sont les premiers touchés par cette contamination de l’eau.

« Nous avons vu les stocks de poissons diminuer, ce qui est largement dû aux produits chimiques déversés par les entreprises dans le fleuve », dit Stanley Ojakol, 34 ans. « Parfois, les poissons meurent dans l’eau », ajoute ce père de 12 enfants.

De nombreux foyers de Jinja, qui compte environ 300.000 habitants, dépendent de la pêche pour vivre. Certains ont déjà cessé cette activité, las de rentrer le filet si peu rempli pour nourrir des familles souvent nombreuses.

– Eaux usées –

« Les rejets d’eaux usées non traitées, de boues, d’engrais, de pesticides issus de l’agriculture » sont les principales causes d’une pollution industrielle qui augmente rapidement dans la région, relevait en 2021 dans un rapport la NBI.

Croissance démographique et urbanisation ne font pas bon ménage avec le Nil, ajoutait cette organisation intergouvernementale regroupant les 10 pays d’Afrique traversés par le fleuve.

La population de l’Ouganda est passée entre 2011 et 2021 de 33,5 millions à 47 millions d’habitants. Le taux d’urbanisation de 15% à 26% ces vingt dernières années.

« Ceux qui vivent le long du fleuve paient le prix » de cette pollution, commente Jowali Kitagenda, pêcheur de 40 ans.

« Les gens s’inquiètent pour leur gagne-pain », dit-il. Pendant ce temps, « le gouvernement a envoyé l’armée pour nous empêcher de pêcher dans les eaux profondes du Nil et laisse les entreprises déverser des tonnes de produits chimiques dans les eaux », s’emporte-t-il.

Si des jeunes gens continuent de s’y baigner, inconscients des dangers, le fleuve est tellement pollué ici que le ministère de la Santé a conseillé à la population de ne plus y puiser d’eau pour cuisiner ou se laver.

« Cela a commencé à nous démanger la peau, le gouvernement a dit que ce n’était pas bon pour les enfants ni pour un usage domestique », raconte Ali Tabo, 50 ans, membre d’un conseil local.

– Appliquer la loi –

« Quand il y a des problèmes de qualité de l’eau sans les mécanismes pour la traiter, cela devient compliqué », relève Sylvester Anthony, directeur de la NBI basée dans la ville ougandaise d’Entebbe.

Or si le changement climatique constitue une menace sérieuse pour le Nil, la pollution va être « un problème plus important » encore en Ouganda, estime le ministre de l’Eau et de l’Environnement, Callist Tindimugaya.

Avec le développement et le nombre croissant d’entreprises, « nous avons de nouveaux types de pollution, comme par exemple des déchets médicaux, du pétrole, du gaz, même des produits électroniques », dit-il dans un entretien à l’AFP.

Une loi de protection de l’environnement adoptée en 2000 interdit aux usines de s’établir à moins de 100 mètres de la ligne des hautes eaux du fleuve, mais nombre d’entre elles se trouvent beaucoup plus près, touchant parfois ses berges.

Les entreprises doivent avoir des usines de traitement des eaux usées mais certaines les déversent la nuit dans le Nil, poursuit M. Tindimugaya.

« Nous avons des lois mais leur mise en œuvre est une autre histoire. »

AFP

 

 

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