COP 26 : l’accès à l’eau reste une question de genre, selon Marie Christina Kolo

Elle se bat pour les femmes et le climat. Invitée par le président de la COP 26 à Glasgow, Marie Christina Kolo est venue porter la voix des femmes malgaches, en première ligne face au changement climatique. Depuis les couloirs de la conférence, elle nous explique pourquoi, selon elle, la question de l’accès à l’eau reste, aujourd’hui encore, une question de genre.

Plusieurs fois récompensée pour son action en faveur de l’environnement et des droits des femmes, Marie Christina Kolo n’en est pas à ses premiers faits d’armes. En cette année 2021, c’est Alok Sharma, le président de la COP 26 lui-même, qui l’a invitée à participer à cet événement mondial (auquel elle a déjà participé l’an dernier, ndlr), à l’occasion du Gender Day, organisé mardi 9 novembre 2021 à Glasgow. 

L’occasion pour la militante malgache (dont nous avions dressé le portrait lors du Prix Martine Anstett 2020, ndlr) de défendre ses projets face à des interlocuteurs-trices du monde entier et de dresser un constat qui résonne comme une sonnette d’alarme : « Les femmes sont les premières victimes et elles sont aussi les premières actrices pour lutter contre les impacts du changement climatique ». 

Entre deux sessions de débats sous le « soleil » écossais, elle a bien voulu s’entretenir quelques minutes avec Terriennes. 

Terriennes : Selon vous, la question de l’accès à l’eau reste une question genrée, pourquoi ? 

Marie Christina Kolo : 
Aujourd’hui, dans les sociétés, dans les pays en développement et notamment à Madagascar, c’est à la femme d’aller chercher de l’eau. C’est elle qui doit faire des kilomètres, même en période de famine.Marie Christina Kolo dans le sud de Madagascar, en septembre 2021. Ce que j’ai pu voir encore il y a quelques semaines, dans le sud de Madagascar, ce sont des petites filles qui sont retirées de l’école parce qu’on a besoin d’eau à la maison. Très souvent, avec le poids de l’eau, elles finissent par avoir une déformation de leur colonne vertébrale. Voilà une des conséquences auxquelles on ne pense pas quand on parle de changement climatique. 

Il y a aussi un autre effet : lorsque les femmes vont chercher de l’eau de plus en plus loin, elles reviennent épuisées chez elles. Elles n’ont même pas le temps de se reposer, elles sont en charge de s’occuper du ménage, de leur foyer, de la nourriture, des enfants. Et pourtant, on va dire que leur repos n’est pas un repos qui est mérité ! Tout ça, parce qu’on considère que c’est normal, c’est leur tâche, c’est leur boulot. Et bien souvent, alors qu’elle vient de faire des kilomètres pour aller chercher de l’eau, la femme va être l’une des dernières à l’utiliser. Il va falloir d’abord donner de l’eau à l’homme, au mari, parfois même aux animaux, avant qu’elle-même puisse disposer de cette eau.

Terriennes : l’accès à l’eau a aussi un impact sur l’hygiène des femmes, particulièrement durant les règles…

MC K. :Pendant les menstruations, les femmes ont un minimum de besoins en terme d’hygiène. Et aujourd’hui, notamment en raison de la sécheresse qui sévit actuellement, elles sont obligées de faire avec les moyens du bord, c’est-à-dire avec de l’eau sale ou de l’eau de mer. Pourquoi ? Parce que, encore une fois dans une société, et pas seulement à Madagascar, où les règles restent considérées comme un tabou, les femmes ne peuvent pas s’exprimer et utiliser le peu d’eau qu’il leur reste. En discutant avec des communautés, encore récemment, une femme est venue me dire qu’en fait, c’était normal que ce soit à la femme d’aller chercher de l’eau parce que culturellement, un homme qui porte de l’eau est un homme « faible ».

« Parler de l’accès à l’eau, c’est parler d’un droit à l’hygiène, d’un droit à la santé pour ces femmes. Mais aussi un droit à pouvoir se reposer, d’avoir des loisirs !« 


Marie Christina Kolo, activiste écologiste et féministe

C’est juste hallucinant qu’aujourd’hui encore, on ait ce genre de considérations et qu’il faille lutter contre ces stéréotypes pour que les femmes puissent disposer de leurs droits. Parler de l’accès à l’eau, c’est parler d’un droit à l’hygiène, d’un droit à la santé pour ces femmes. Mais aussi un droit à pouvoir se reposer, à avoir des loisirs ! On ne peut pas demander à une femme de passer plus de la moitié de sa journée à chercher de l’eau ! Et je ne parle pas 

uniquement de zones rurales affectées par la sécheresse à Madagascar, je parle aussi des zones urbaines. Parfois, il faut y passer des heures à faire la queue pour obtenir un peu d’eau. Il y a une véritable pénurie d’eau dans la capitale.

Selon l’UNICEF, Madagascar est le troisième pays au monde où l’accès à l’eau potable est le plus difficile. On peut donc voir les aspects différenciés de l’impact du changement climatique, comme l’accès à l’eau, qui entâchent les droits de ces femmes aujourd’hui. 

Terriennes : Si vous aviez un appel à lancer, quel serait-il ?

MC. K : mon association a été contactée deux semaines avant la COP 26 par son président, Alok Sharma, pour nous inviter à participer à une discussion avec des femmes malgaches à l’occasion du Gender Day. Je dois avouer que j’ai été émue de pouvoir partager la voix de ces femmes lors d’un échange avec lui. Elles ont pu raconter leur quotidien, leurs difficultés, comment parfois, pour cuisiner, elles doivent utiliser de l’eau de mer. Elles sont aujourd’hui désespérées. On parle ici d’une véritable urgence, d’une crise climatique et humanitaire dans mon pays. Aujourd’hui, cela a été rappelé devant des dirigeants du monde entier. C’est un pas qui permet de mettre en avant la voix des communautés locales pour trouver des solutions d’adaptation.

Très souvent, les solutions viennent du haut vers le bas. Mais là, on a besoin des voix des femmes, afin qu’elles soient au coeur même des prises de décision. Des entités se sont engagées pour des financements adaptés et inclusifs, incluant le genre. Car il faut savoir que seulement 3% ou 4% des financements-climat s’adressent à la thématique du genre, alors que 60% n’en parle pas du tout.

C’est ce qu’il faut changer aujourd’hui quand on s’adresse aux pays en développement, en première ligne, et aux femmes qui sont les premières victimes, car elles sont aussi actrices de changement et porteuses de solution. C’est ce que nous sommes venues montrer à cette COP. Une COP d’ailleurs, faut-il le souligner, majoritairement dominée par des délégués hommes… Oh oui, c’est très masculin par ici (rires), ça manque de diversité. On doit apporter cette diversité, on ne peut pas faire autrement si on veut vraiment lutter contre les impacts du changement climatique. 

Tv5monde.com

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