PRÉSIDENTIELLES 2019 : Serigne Mansour Sy Djamil appelle les acteurs politiques à respecter les résultats qui seront proclamés ce 28 février.
En tant que Co-Président des Religions pour la
Paix, une ONG internationale qui œuvre pour instaurer la paix dans le monde sur
la base des valeurs éthiques de la religion, j’ai été associé aux négociations
de paix dans des conflits qui avaient soit une origine confessionnelle ou
ethnique ou les deux à la fois. En cette qualité, j’ai fait partie des missions
de religion pour la paix au sud du Soudan, en Afrique du sud, en République
démocratique du Congo, en République centrafricaine et j’ai servi de médiateur
entre des communautés musulmanes asiatiques en conflits opposés à Singapour et
à Taïwan. Je ne serai pas crédible et n’aurai pas ma place dans cette
organisation internationale si je n’étais pas capable de faire la même chose
pour mon propre pays. Il faut s’y atteler avant que la situation ne dégénère.
C’est fort de cette expérience que la situation actuelle du
Sénégal m’interpelle. Nous venons de vivre une élection présidentielle décisive
pour l’avenir de notre pays. Dans ce contexte-là, « la politique est ramenée au
choix électoral d’un Président. De cette définition peut découler une
conception assez cynique de la politique faite de concurrence, de rivalité, de
brutalité, de combat avec tout ce que cela implique de vilenie, de corruption,
de mensonge et de violence» comme disait Alain Badiou, illustre philosophe,
l’un des plus grands en France de par sa pertinence et sa rigueur.
Mais, nous nous permettrons à la lumière de l’enseignement
coranique que nous partageons avec d’autres religions quand Allah a dit
‘’rentrez à l’intérieur avec une paix intégrale, ne suivez pas les pas de
Satan’’. Fort de cet enseignement, malgré la violence des élections, nous avons
essayé de nous y mouvoir avant, pendant et après.
J’ai soutenu, en ma qualité de leader politique, un candidat
victime de cette violence dont certains éléments sont toujours entre les mains
de la justice. Mais, j’ai la faiblesse de croire qu’avec l’attente anxieuse et
angoissée des résultats par la Cour Suprême qui est censée les déclarer nous
pouvons puiser sur les valeurs éthiques légendaires de notre cher Sénégal,
qu’on y rentre et y sorte dans la paix totale. Il convient de donner aux hommes
religieux toute leur place dans ce processus. L’homme religieux a un devoir de
témoignage, d’action, d’incandescence spirituelle dans un pays qui, ici et maintenant,
a soif d’éthique et de justice. C’est le modèle que les véritables chefs
religieux nous ont laissé, de 1776 à nos jours, de Thierno Souleymane Baal à
Mame Bou Kounta Ndiassane, en passant, entre autres, par Thierno Abdel Kader
Kane, El Hadj Oumar Foutiyou Tall, Maba Diakhou Ba, Mame El Hadj Malick Sy,
Serigne Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Cheikh Abdoulaye Niasse, Mame Limamoulaye,
et bien d’autres chez les chrétiens. A cet égard, l’Eglise catholique n’a
jamais été en reste. Des figures ont marqué de leur empreinte la formation
spirituelle et l’affirmation des idées de progrès : Abbé Boîlat (1840), Mgr
Joseph Faye, Père Lebret, Père Pinault, Abbé Sock, Cardinal Yacinthe Thiandoum.
Aujourd’hui, cet engagement se reflète dans les lettres pastorales dont celle
publiée par les évêques le 30 novembre 2000 sous le titre : ‘’Quel Sénégal pour
le 3ème millénaire ?’’ En fait, il s’agit d’une question qui porte sur toute
l’action sociale de l’Eglise au Sénégal, de l’indépendance politique à nos
jours, dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de la lutte contre
toutes sortes de pauvreté.
C’est dans cet esprit de convivialité que toutes les
confessions ont vécu dans l’harmonie totale que nous envient bien des nations.
Durant la campagne électorale, accompagnant le candidat Issa Sall, nous avions
été reçus pendant deux jours à Touba avec tous les honneurs par Son Eminence le
Khalife Général des Mourides Serigne Mountakha Mbacké. En tant que petit-fils
de Mame Maaram Mbacké donc fils de Touba et de Tivouane, les visites ont été
ponctuées par un beau et unique geste, l’ouverture de toutes les portes du
Daaray Kaamil; ce temple du savoir, de l’intellect, du patriotisme, et de la
jubilation gnostique qui déroule dans toute sa splendeur la stratégie cognitive
d’intervention de Khadimou Rassoul dans une visite guidée par le Maître des
lieux Serigne Moustapha Diattara à qui nous exprimons ici gratitude et
respects. J’ai été profondément touché par les propos du porte-parole du
Khalife, Serigne Bass Abdou Khadre Mbacké.
Son éminence, le Pape François dit que le nouveau nom pour la
paix c’est le développement. Pour réaliser une paix véritable dans notre pays
il faut respecter la volonté populaire et au-delà créer des conditions pour que
les ressources naturelles, précieuses et abondantes dont Dieu nous a dotées
puissent être utilisées pour le bien-être des populations du Sénégal. C’est
dans cette totalité contradictoire et cette unité dialectique qu’il convient
d’œuvrer pour que ces ressources naturelles soient plus une bénédiction qu’une
malédiction. C’est tout l’enjeu de notre avenir immédiat et lointain.
Je me suis battu jusqu’à la dernière énergie pour le triomphe
de mon candidat comme j’ai déployé des efforts exténuants pour le parrainage.
Mais Allah dans sa Sagesse Infinie en a décidé autrement. La cour suprême va
annoncer les résultats qui nous pensons vont refléter la vérité des urnes, il
convient de l’accepter également.
Je lance solennellement un appel au président sortant si un
deuxième tour était annoncé par la Cour Suprême et de ne tenter aucun forcing
qui a embrasé bien des pays en Afrique et dans le monde : Kenya, Zimbabwe,
Gabon, Venezuela. De la même manière, si la volonté populaire s’exprime en
faveur d’une victoire de Macky Sall dès le premier tour, tous les acteurs
politiques devraient l’accepter comme une volonté divine et s’en réjouir.
قُلِ اللَّهُمَّ مَالِكَ الْمُلْكِ تُؤْتِي الْمُلْكَ مَن
تَشَاءُ وَتَنزِعُ الْمُلْكَ مِمَّن تَشَاءُ وَتُعِزُّ مَن تَشَاءُ وَتُذِلُّ مَن تَشَاءُ
ۖ بِيَدِكَ الْخَيْرُ ۖ إِنَّكَ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ قَدِيرٌ
Et dans les deux cas, le seul vainqueur sera le peuple
sénégalais et cette victoire là nous la lui devons. Dans ces circonstances
décisives, pour le devenir de notre pays, nous devons nous retrouver sur
l’essentiel : la paix pour le développement et le développement pour la paix.
Notre pays regorge de ressources humaines variées de qualités
exceptionnelles ayant l’expérience du pays, de l’Etat, de l’Assemblée, des
institutions internationales et des exigences du monde moderne. Le Sénégal
riche de ses cultures, de son histoire plusieurs fois séculaires, de ses
confessions, de ses ethnies, de ses régions, de leurs diversités géographiques,
enrichies par des alluvions fécondes. Ce pays d’assimilation parvient toujours
à intégrer et à dépasser ses apports allogènes.
J’entends contribuer en bonne place à cette alternative en
construction, armé d’une éthique à l’image du grand théologien de Damas
du 13ème siècle, Ibn Taymiyya, qui disait : « La valeur d’un pouvoir est
déterminé par les qualités morales et personnelles des hommes qui assument le
pouvoir » et « Si le détenteur du pouvoir est sain alors les affaires des
hommes le seront également, mais s’il est corrompu, alors les affaires des
hommes le seront tout autant ».
Le droit d’être différent, le devoir d’être ensemble !
Serigne Mansour SY Djamil
Khalife de Serigne Moustapha SY Djamil
Co-Président de Religions pour la Paix
Président Bes Dou Niakk
Député à l’Assemblée nationale
Fait à Dakar, le 27 Février 2019