Covid-19 : Temps de misère pour les vendeuses de poissons

Les temps sont durs pour les revendeuses de poissons. Elles sont confrontées à la flambée des prix d’achat de leurs marchandises à cause des mesures appliquées dans la lutte contre le Covid-19. Elles paient désormais plus cher le transport pour rallier les quartiers huppés de Dakar où elles revendent leurs poissons. Ici, les portes de leurs clientes ne leur sont pas grandement ouvertes. La liste des contrecoups n’est pas exhaustive.

fil indienne pour entrer au marché du poisson

Il est 7h30. Le temps est clément. La fraîcheur est ambiante. A l’entrée du marché aux poissons de Pikine, en banlieue dakaroise, les femmes par respect aux instructions de la direction dudit marché, se sont alignées en file indienne. Pour l’écrasante majorité, elles viennent de la banlieue dakaroise. La bouche et le nez cachés derrière un masque, les mains gantées, elles entrent une à une. Juste après, elles se lavent les mains devant l’œil inquisiteur des agents de sécurité avant d’enfiler à nouveau leurs gants. Elles pourront maintenant rejoindre l’enceinte du marché. Ici, la crainte d’une contamination est palpable.

Le visage pensif, Ramatoulaye Thiam, traîne les pas. Bassine accrochée sur les côtes, son regard en dit long sur ses craintes de ne pas pouvoir se ravitailler à sa guise. En effet, avec seulement 50 000 F CFA dans le calepin, alors que le prix du poisson a pris une courbe ascendante depuis le début de la fermeture de l’espace maritime sénégalais aux bateaux étrangers jusqu’à nouvel ordre et la pêche artisanale frappée de la mesure de restriction, délimitant l’espace et la durée de séjour en mer. La dame sait qu’elle ne pourra pas acheter des poissons tant prisés par ses clients qui résident dans les quartiers nantis de Dakar. Sur un ton résigné et teinté d’amertume, elle révèle vivre un tel calvaire depuis le début de cette décision de l’Etat. « Je ne peux plus avoir de bénéfices conséquents. Mes clientes ne comprennent pas, qu’il y a les changements au marché. Je suis obligée de faire avec sinon je n’aurais plus les moyens d’entretenir ma famille », confesse la dame.

Une autre jeune dame, d’une noirceur d’ébène, grande de taille et corpulente et mère de quatre enfants exprime les mêmes préoccupations. Son mari qui est maçon peine selon ses dires à trouver un chantier en cette période. « C’est difficile pour moi, mais j’ai le devoir de nourrir ma famille. Alors, je me bats pour liquider mes poissons et avoir au moins la dépense quotidienne et de me ravitailler le lendemain », confie Ramatoulaye, le sourire forcé aux lèvres.

Mais le quotidien de ces deux dames, c’est le commun de toutes les autres vendeuses de poissons. De 3 heures du matin, l’heure d’ouverture du marché est passée à 7 heures du matin avant  sa fermeture à 12, renseigne, Pape Alioune Thiombane, chargé de la communication de la direction dudit marché.Malgré tout, les vendeuses se retrouvent sur place dès 6 heures du matin. A chacune son coin privilégié, raconte Kiné Thiaw, une jeune fille qui exerce le métier de vendeuse de poissons depuis 2 ans. « Dès que je sors d’ici, je vais à Mermoz (quartier situé au centre-ville de Dakar », j’y ai des clients très fidèles. Je sillonne le quartier jusqu’aux environs de 12 heures », confie-t-elle. Elle explique qu’elle a besoin d’écouler tous ses poissons, autrement ce n’est pas rentable car elle doit payer pour qu’on garde ses poissons dans un réfrigérateur : « Le lendemain, je suis obligée de casser le prix », narre-t-elle.

En plus la jeune Kiné Thiaw se plaint de l’altitude de certaines clientes, qui profite de la situation pour prendre sa marchandise à crédit. En effet, comme elles ont perdu des clientes, elles n’arrivent pas à écouler leurs poissons à la fin de la journée ainsi, quand un fidèle client veut prendre à crédit, les vendeuses de poissons cèdent. « Quand, je passe récupérer mon argent, c’est à l’entrée on fait comprendre que ma cliente est sortie ou est en train de dormir, cela se passe comme ça pendant plusieurs jours et ça porte un gros coup à mon commerce », se plaint Kiné.

Le transport de la marchandise, un casse-tête

Une fois la bassine chargée, un autre casse-tête attend ces braves dames. A l’heure où les voitures sont essentiellement sollicitées par d’autres types de clients ne supportant pas l’odeur du poisson frais, les femmes se voient rejeter par les apprentis «car rapide»qui assurent une bonne partie du transport en commun. « On perd beaucoup de temps pour avoir une voiture qui nous transporte avec nos marchandises. Les chauffeurs par respect au règlement ne prennent que deux clients, ce fait qu’ils demandent le double de ce que nous avions l’habitude de payer. De 1000 francs, le prix est passé à 2000 mille francs CFA », raconte Fatou Sow, une vendeuse en partante pour la cité des Maristes, un quartier plus ou moins chic, sis à la périphérie du centre-ville  de Dakar.

« Certaines parmi nous ont adapté d’autres solutions moins contrariantes. Celles qui vont dans la même direction se cotisent et louent une charrette qui les transporte avec leurs marchandises », dit-elleles yeux rivés sur ses camarades qui négocient avec un charretier. Des difficultés qui sont pourtant loin de freiner la volonté de ces femmes de gagner dignement leur vie.

Désinfection du marché

Les chiffres d’affaires en baisse  

Avec le changement d’horaire, les femmes ne peuvent plus se permettre de squatter les coins et recoins du marché en recherche de prix plus abordables, car après elles doivent encore parcourir de nombreux kilomètres pour écouler leurs poissons. « C’est sur le chemin du retour que, j’achète les légumes et autres, une fois à la maison, je prépare le repas, souvent avec beaucoup de retard, mais on est habitué », raconte Khoudia Thioye. Elle confie qu’avec le couvre-feu, elle se couche assez tôt, ce qui lui permet de bien se reposer.  « Avant, je vendais du couscous, à partir du crépuscule, car, le repos ce n’est pas pour nous, c’est pour ceux qui ont des comptes bancaires bien fournis. Mais avec le couvre-feu, je ne peux plus faire cette activité, donc, je me repose », ironise-t-elle.

Adja Yacine, une des doyennes du marché aux poissons, confie, qu’elle entre au marché avec une somme allant jusqu’à 150 000 francs CFA. « Je suis revendeuse au sein du marché depuis près de 8 ans, aussi pour attirer les clients, je suis obligée de présenter de bons produits. Quand ça marche je peux descendre avec plus de 250.000 francs de bénéfice. Car, je ne vends que des poissons de luxe », se targue Adja Yacine. Seulement, elle avoue que depuis l’avènement de la Covid 19, c’est avec difficulté qu’elle écoule sa marchandise. « Avec, le peu de temps qui nous est imparti, souvent, je suis obligée de les revendre à perte. C’est pourquoi, je pense sérieusement à arrêter de vendre les poissons de luxe, jusqu’au à la fin Covid 19, dit-elle.

Les mareyeurs se plaignent de la fermeture des frontières maritimes

Depuis l’entrée en vigueur de la décision de l’Etat concernant la fermeture des frontières maritimes, et l’interdiction des pêcheurs artisanaux de dépasser leur zone (région où ils vivent) les activités sont au ralenti, constate Modou Thiam, un mareyeur du marché aux poissons. « Les conséquences sont catastrophiques pour nous », dit-il. « La quantité de poissons dans le marché a considérablement baissé », rapporte le mareyeur.

Selon ce dernier, le marché est fourni par les usines qui disposent d’importants stocks de poissons congelés. « Ça va être compliqué pour nous mais nous laissons tout entre les mains de Dieu. Nous ne sommes pas comme les propriétaires d’usine qui ont les moyens de trouver du poisson. Nous les revendeurs, nous dépendons du débarquement des navires», a laissé entendre Modou Thiam. Il explique que le carton de poisson est passé de 30.000 à 35 000 francs CFA.

Non loin de là, des mareyeurs regroupés guettent l’arrivée de potentiels clients. A chaque instant, des cartons de poissons congelés en mer en provenance des quais de pêche de Yarakh, Yoff, Thiaroye sur mer entre autres, sont déchargés des pousse-pousse. Ces cartons de poissons renferment des espèces telles que le « dorat », le « pajot, » qui coûtent respectivement entre 32 000 francs et 35 000 francs CFA l’unité. Alors qu’en temps normal, le prix du carton est fixé à 30 000 francs CFA au maximum. Face à la rareté du poisson, les revendeurs sont aujourd’hui obligés de se rabattre sur ces poissons congelés en mer pour espérer amener quelque chose à la maison.

Le code d’accès au marché

De ce marché d’où parte le poisson qui garnit bien des plats servis à Dakar, en famille et au resto, les règles d’hygiène et de propreté ont été corsées, conformément à l’application des mesures de contingentement de la maladie. Ce qui a impliqué des changements quant à ses heures d’ouverture et fermeture, et aux conditions d’accès. «Depuis, que le chef de l’Etat a donné des instructions pour le respect des consignes d’hygiènes de lutte contre la Covid-19, nous avons décidé de l’adopter à 100% au sein du marché. C’est pourquoi, nous avons changé les heures d’entrées. De 3 heures du matin, l’heure d’ouverture du marché est passée à 7 heures du matin avant  sa fermeture à 12 heures. Et, tous les jours, à partir de 13h nous procédons à la désinfection des lieux»,renseigne, Pape Alioune Thiombane, chargé de la communication de la Direction dudit marché.

Il ajoute que les habitués du marché savent qu’il y a un poste de Police à l’intérieur et les forces de l’ordre vont veiller à ce que les nouvelles règles soient respectées. Il s’agit notamment du lavage des mains avant de rentrer dans marché, le port du masque et des gants et l’interdiction de l’accès des enfants de moins de 10 ans aux lieux. Et surtout pas de rassemblement devant les camions frigorifiques et les étalages de vente. 

Pour sa part, le directeur du Service national de l’éducation et de l’information pour la santé (Sneips), Dr Ousmane Guèye a estimé que du moment que la Direction du marché du poisson applique et fait respecter à ses clients les consignes requises pour se protéger de la propagation de la maladie à coronavirus, il n’y a pas de raison d’interdire la fréquentation des lieux.

Paule Kadja TRAORE

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