Tranche de vie : 30 ans de souffrance d’une femme victime d’inceste

Perfidie ! Voilà comment Maïmouna Ndiaye définit sa douleur. La cinquantaine, totalement ridée, dépitée de narrer son histoire qu’elle rumine depuis belle lurette. Enfant épanouie, le passage brusque, sans transition normative de l’état adolescente à femme mure bouleversa sa vie. C’est en effet, les mots qui sortent de la bouche d’une mère meurtrie, décidée enfin de conter sa mésaventure.

L’acte incestueux d’un père sur sa fille fractionne tout une famille. Maïmouna, victime de l’instinct animal de son paternel, a voulu esquiver les percussions du destin pour protéger son fils. Elles sont revenues comme par ébahissement, percutant à plein fouets. Cela, 19 longues années après. Cette fois, Maïmouna Ndiaye n’est pas la seule victime. Son fils Amadou, vient de découvrir le terrible secret. Un fait solidement gardé par une famille. Il ronge ses membres. Ces derniers perdirent l’estime de toute une localité. Le mot se fait passer de bouche à oreille, en sourdine. Mais les gestes et comportements trahissent les murmures secrets. Il est du même père que sa maman. C’est-à-dire qu’il est conçu par son grand-père.

Avenir tronqué…

Élève en classe de terminale, l’établissement lui remet son extrait à renouveler pour les besoins du dossier à fournir pour l’examen du baccalauréat.  Sur l’extrait, l’on mentionne « père non dénommé ». Un fait insolite, mais qui a son pesant d’or. Amadou très curieux mais intrigué, demanda la signification à l’agent d’état civil qui le renvoie à son école. Là-bas le surveillant dit ne pas comprendre et lui demanda à son tour de s’en ouvrir à sa mère. Dans sa quête perpétuelle de réponse, certains de ses camarades lui ont appris que c’est sans doute parce que son père ne l’a pas reconnu à la naissance.  Cette version n’est pas loin de la réalité.  L’inceste en tant qu’infraction spécifique ne figure pas encore dans le code pénal. Le père incestueux, selon Ndèye Madjiguène Sarr, juriste consultante à l’association des femmes juristes, ne peut reconnaître son enfant. Même s’il en manifeste la volonté.

Dans un petit village de quelques maisonnées, tout le monde se connait. Les histoires se transmettent de générations en générations. La cruauté et la méchanceté des uns, se mesure à l’aune du désir ardent de garder les secrets, les plus intimes. Amadou apprit ce qui s’est passé. Par qui ? Il ne le dira pas à sa mère.

« En tout cas, mis devant le fait accompli, ce jour a été encore plus pénible que l’acte même du grand-père », raconte la mère. La gorge nouée, luttant difficilement avec ses larmes qui imbibent ses  joues plates  sur une peau pâle, agressée par cette douleur traînée au fil du temps.  Il y a des vies, dit- elle, qui ont un seul caractère. Il s’agit de se réveiller, chaque matin, pour monter jusqu’au sommet de la falaise avec un seul désir, se laisser emporter par la force du vent. Elle poursuit son récit. L’amertume envahit ses forces. Elle sanglote et semble s’étouffer. Elle est inconsolable.  Malgré la douleur, sa foi l’empêche de sauter de la falaise de son mirage. Le courage en bandoulière, elle décide de s’en ouvrir à son fils.

Tel un couperet

Cette vérité a séparé à jamais mère et fils. En racontant la vérité à son fils, la maman victime d’inceste est loin de savoir qu’il va l’abandonner pour un autre pays… La mère au Sénégal, le fils en Gambie, ne communiquent désormais que par téléphone.  A moins que cette dernière ne se déplace pour aller voir le fils qui a tout simplement tourner la ‘’page Sénégal’’. Ce, depuis le jour où il a découvert que le père qu’on lui disait mort avant sa naissance, est le même que le géniteur de sa propre mère. Ce jour, le couperet est tombé, faisant ainsi d’Amadou Ndiaye un exilé qui n’envisage pas le retour. « J’ai  tourné  la  page ;  aujourd’hui,   j’ai  une  famille  qui  ne  connait  pas mon  histoire  et  je  ne  suis  pas  du  genre  à revenir  en  arrière. Je peux  comprendre  ma  mère. Mais  je  vous  prie  de  ne  plus  me  contacter  sur  ce sujet ». Une réplique catégorique  et  crue  que  le  sénégalo-gambien sert  via  Whatsapp.

Auparavant, il avait rejeté plusieurs de nos appels. Il est aujourd’hui  marié  en  Gambie dans  un  village  pas  loin de  la  frontière où il effectue du  maraichage et de l’agriculture vivrière. Ses deux enfants, n’ont jamais  mis  les  pieds  au  Sénégal, renseigne sa mère. Le cordon ombilical, qui  détermine  même  en  droit le lien  entre  la  mère  et  son  enfant, a fait de  lui  un  enfant  naturel incestueux. La filiation en ce qui concerne le père n’est pas établi. C’est donc plusieurs droits  comme  le  droit  à  un  nom  et  le  droit  à la  succession qu’il perd d’office.

La  mort  du  père  incestueux avant  la  naissance   du  ‘’fruit’’  de  son  forfait  sur  sa  fille  Maïmouna Ndiaye  n’a  pas  suffi  pour  éteindre  le  feu  à  jamais  allumé  dans cette  famille.  Dans  un  village  en  plein  Saloum,  la  famille  vit  encore   le  mal. « La simple  évocation  du  nom  de  mon  fils  remue  le  couteau  dans  ma plaie  béante. Des voisins  demandent  de  ses  nouvelles  sans  arrières  pensées,  mais  je  ne  peux  m’empêcher  à  chaque  fois  de  croire  qu’il  ont  une  idée  derrière  la  tête », gémit la dame.

Retour sur les faits plus de 30 ans après…

Maïmouna est une jeune fille analphabète qui sort à peine de ses 16 ans. Sa famille pense déjà  à la marier à un cousin. Au moment des préparatifs sa maman tomba d’un arbre à la recherche  de feuilles pour la sauce de son couscous du soir. La chute fut tellement pénible qu’au sortir d’hôpital, sa mère fut paralysée et amnésique Maïmouna devient donc ses bras et ses pieds. C’est dans ces moments de faiblesses que le père a ‘’confondu’’ sa femme et sa fille. La première fois il est parti en voyage à l’aube laissant une enfant toute seule, se morfondant dans la douleur de subir l’inceste et l’obligation de prendre soin d’une mère malade. Elle n’aura pas trouvé la force de dénoncer son père. Pendant son second forfait non plus. Sa grossesse s’en chargera. Et c’est la sœur de son père qui rassemble la famille et demanda de laver le linge en interne. Ce fut fait. La tragédie s’ébruita et tout le village finît par savoir. Le père décède six mois plu tard. Maïmouna marque une pause, retient ses  larmes difficilement. Elle se lève entre dans sa grande case qui fait face au grand bâtiment familial où vivent ses frères et belles sœurs.  Elle ressort, mouchoir à la main, les yeux imbibés par les larmes. Elle poursuit. « Malgré la douleur, j’avais repris goût à la vie quatre ans après la naissance de mon fils quand ma mère, la seule force qu’il me restait, s’en est allée. Il ne me reste dans la vie que la complicité qui existe avec mon enfant. Je croyais le détester à sa naissance. Seulement il devient ma raison de vivre. Plus il grandit, plus on est proche. Ses camarades lui reprochaient son attachement excessif à sa mère. Lui voulait à tout prix, m’éviter la solitude. Cela me rend triste, disait-il. Aujourd’hui, je suis séparée de tous, ma mère, mes petits enfants. Je ne peux aller vivre en Gambie de peur de faire souffrir mon fils », dit-elle.  Le cousin qui lui était destiné avait pris une autre femme pendant sa grossesse. Maïmouna ne s’est jamais mariée. Elle habite avec ses frères et belles sœurs et vit d’un petit commerce et de ce que son fils lui envoie chaque mois. Visiblement, elle semble accepter son destin. Cependant, elle traine encore les stigmates de sa douleur persistante. En réalité, c’est l’histoire de la falaise qu’elle vit au quotidien. Non sans se demander : « si seulement la loi m’avait permis de mettre un nom à la cage du père sur son extrait de naissance, peu importe lequel…. »

* NB : les noms ont été changé

Article de Yandé Diop

Source : thieydakar.net

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